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13 mars 2015 5 13 /03 /mars /2015 11:17

Film américain sorti le 25 février 2015

Réalisé par Alejandro Gonzalez Inarritu

Avec Michael Keaton, Edward Norton, Emma Stone...

Drame, Comédie

A l'époque où il incarnait un célèbre super-héros, Riggan Thomson était mondialement connu. Mais de cette célébrité, il ne reste plus grand chose, et il tente aujourd'hui de monter une pièce de théâtre à Brodway dans l'espoir de renouer avec sa gloire perdue. Durant les quelques jours qui précèdent la première, il va devoir tout affronter : sa famille et ses proches, son passé ses rêves et son ego. S'il s'en sort, le rideau a une chance de s'ouvrir...

Alejandro Gonzalez Inarritu est le second réalisateur mexicain à reçevoir un oscar après Alfonso Cuaron l'année précédente. En plus de marquer la reconnaissance de ces talentueux metteurs en scène par l'Académie hollywoodienne, cette consécration lie deux artistes dont les derniers travaux semblent se répondre de façon surprenante. En effet, le GRAVITY de Cuaron est intrinsèquement connecté à ce BIRDMAN, tant sur le plan formel que thématique, puisque leurs procédés de mise en scène sont similaires et servent un même but : suivre au plus près l'errance d'un être humain qui se pense seul au monde. L'unique différence entre les deux est que l'astronaute Ryan Stone (Sandra Bullock) flottait dans l'espace afin de retrouver la terre ferme tandis que Riggan Thomson (Michael Keaton) veut la quitter pour prendre son envol.

Bien que maladroitement présenté comme une comédie alors qu'il est davantage une comédie dramatique, voire une tragi-comédie, BIRDMAN a impressionné la presse internationale et les membres de l'Académie alors qu'ils sont habituellement dédaigneux envers ce genre. Beaucoup argueront que ces éloges viennent principalement du tour de force technologique que représente le long métrage. En effet, la prouesse accomplie par BIRDMAN est un vieux rêve de cinéaste : raconter une histoire en un seul mouvement par le biais d'un (quasi) unique plan séquence. A ce niveau, le défi est relevé avec brio puisque tous les raccords (à l'exception de trois ou quatre) permettant de relier les scènes qui composent ce faux plan séquence sont invisibles.

Emmanuel Lubezki s'impose définitivement comme le plus brillant chef opérateur en activité après ses travaux phénoménaux sur ALI de Michael Mann, SLEEPY HOLLOW de Tim Burton, THE TREE OF LIFE de Terrence Malick ou encore l'étourdissant doublé de Cuaron avec LES FILS DE L'HOMME et GRAVITY. La manière dont il fait évoluer la caméra à travers ce lieu unique (un théâtre new-yorkais) et la façon dont il joue avec les modifications d'éclairage pour appuyer les changements d'humeur des personnages ou l'irruption d'une ellipse - autrefois marquée par le passage d'un plan à un autre - sont proprement stupéfiantes. A un tel point que l'on peut trouver une limite à l'ensemble du projet BIRDMAN, à savoir d'être génial par son accomplissement et d'en être parfaitement conscient.

Il est évident qu'Inarritu est le cinéaste le moins humble du trio mexicain qu'il forme avec Cuaron et Guillermo Del Toro. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ses précédents films furent les premiers à être acclamés par la presse de festivals alors que Cuaron avait droit à une indifférence générale parce qu'il faisait des "blockbusters" (HARRY POTTER ET LE PRISONNIER D'AZKABAN, LES FILS DE L'HOMME). Et ne parlons même pas du cas de Guillermo Del Toro qui est encore perçu comme rien de plus qu'un bon réalisateur de films fantastiques ; seul son merveilleux LABYRINTHE DE PAN a été projeté en compétition officielle à Cannes devant des festivaliers désintéressés. 21 GRAMMES et BABEL étant des films choraux socio-dramatiques portés par l'interprétation très forte de leurs comédiens, ils étaient plus à même de toucher un public se disant "exigeant".

Ca n'enlève toutefois rien au talent de metteur en scène d'Inarritu puisque ce dernier a régulièrement sû se montrer capable de sauver des scripts misérabilistes qui flirtaient avec les limites du racolage festivalier. BIUTIFUL en est le parfait exemple, d'autant plus qu'Inarritu y était aidé par la performance sidérante de Javier Bardem. Mais on ne peut toutefois nier que c'est lui qui affiche le plus ouvertement une certaine prétention "à faire de l'art" et "à avoir un discours critique et social" - ce qui ne veut pas dire que Cuaron ou Del Toro n'ont pas d'ambitions artistiques, narratives ou contestataires, mais que ceux-ci les disséminent avec plus de discrétion dans leurs oeuvres populaires. Ainsi, BIRDMAN souffre parfois de scènes maladroites se voulant iconoclastes et impertinentes alors qu'elles ne parviennent qu'à enfoncer des portes ouvertes.

Le passage entre Riggan et la critique de théâtre, tellement hautaine qu'elle avoue avoir déjà écrit la condamnation de la pièce qu'il s'apprête à montrer à Broadway, et ce, avant même de l'avoir vu sous prétexte qu'elle hait ce qu'il représente (le divertissement hollywoodien), parait bien hypocrite quand on se souvient à quel point la presse a été l'un des premiers soutiens d'Inarritu. De même, le discours ironique sur les films de super-héros actuels et leur tendance à l'"apocalyptic porn", loin d'être injustifié au demeurant, ressemble de prime abord à un vain coup de griffe de la part d'un esthète contre ce cinéma popcorn sans lequel il ne pourrait pourtant pas exister. En effet, c'est grâce aux succès de ces derniers qu'un long métrage comme BIRDMAN est financé. Et ne parlons même pas de la moquerie facile à l'encontre des réseaux sociaux.

Pourtant, malgré tous ces discours, il est difficile de condamner Inarritu puisqu'il n'épargne personne au final. Si les "blockbusters" de Marvel en prennent pour leur grade, les intellos et les bourgeois de Broadway ont aussi droit à leur portrait au vitriol. BIRDMAN est en fait un film profondément mélancolique, limite misanthropique lors de certaines séquences, tant tous les personnages de l'intrigue sont victimes à un moment ou à un autre de leur ego surdimensionné et de leur volonté d'exister à tout prix à travers les yeux de ceux qui les entourent, se donnant ainsi une importance ou une spécificité illusoire. Avec BIRDMAN, Inarritu nous montre un microcosme en train de se déchirer dans sa propre bulle sans que cela ait le moindre impact sur le monde qui continue de tourner autour de lui.

Et si jamais il devait y en avoir un, celui-ci serait massivement relayé le jour même par les réseaux sociaux pour être tout aussi massivement occulté le lendemain. Au final, c'est l'extrême vacuité de cette quête de reconnaissance, que nous poursuivons tous comme une nécessité vitale, qui est bouleversante dans BIRDMAN. C'est pour cette raison que le film est infiniment plus proche de la tragédie puisqu'il nous donne à voir des personnages qui veulent accéder à la célébrité afin que leur passage sur Terre ne soit pas aussitôt oublié après leur mort, leur permettant ainsi d'atteindre une certaine forme d'immortalité. Or la mémoire humaine étant sélective et imparfaite, tous ces faits de gloire sont voués à un inévitable oubli.

C'est ce que n'arrive pas à accepter Riggan. Ce dernier ne parvient pas à se satisfaire du fait qu'il ait autrefois sû faire se déplacer des dizaines de millions de personnes en salles alors que presque plus personne ne se souvient de lui aujourd'hui. De fait, Riggan considère que son immortalité artistique vient moins de ces millions de gens, qui ne se souviennent plus de lui qu'à travers son envahissant sur-moi masqué, que de cette petite élite huppée et new-yorkaise qui admire l'Art entre deux tweets et une coupe de champagne tenue avec le petit doigt levé. Etre vu de tous n'est pas suffisant, il faut être adoubé par ce microcosme qui s'est déclaré dépositaire du bon goût esthétique - en opposition totale avec le divertissement "mainstream" qui vient tout droit de la côte californienne.

Riggan se met ainsi littéralement à nu devant une intelligentsia qui cherche au moins autant que lui à exister à travers le regard d'autrui : la critique (Lindsay Duncan) croit que son papier incendiaire dispose d'une quelconque autorité, l'acteur prestigieux et prétentieux Mike (Edward Norton, absolument formidable) abuse de la méthode de l'Actor Studio afin de faire "vrai" sur scène alors qu'il est incapable d'exprimer la moindre vérité ou sincérité en coulisses, la fille de Riggan (Emma Stone, non moins formidable, notamment lors d'un poignant monologue) joue les rebelles alors qu'elle souffre comme les autres et qu'elle recherche au final la même reconnaissance qu'eux,... Ils sont tous poussés par la croyance - fausse mais indéfectible - selon laquelle ils sont fondamentalement différents de la masse.

Par son propos, à savoir la tendance égocentrique de chaque être humain, il est difficile de condamner la mise en scène prétentieuse de BIRDMAN. Un plan séquence est de toute façon rarement initié sans une volonté d'impressionner la galerie, et ce, même si l'efficacité d'un tel procédé demeure dans son invisibilité (ce qui est le cas de BIRDMAN à deux ou trois transitions près). En effet, ce plan séquence peut être perçu comme l'énième mise en abyme entre le fond et la forme d'un long métrage qui en comporte déjà de nombreux. On peut aller jusqu'à dire que le projet a été élaboré comme une mise en abyme géante. La fin alternative prévue montrait d'ailleurs Johnny Depp, prisonnier de son Jack Sparow depuis PIRATES DES CARAIBES, surpris par le héros en train de mettre son postiche, marquant ainsi la transmission de cette malédiction de la popularité entre deux générations d'acteurs (burtoniens qui plus est). Cela va clairement dans le sens d'un méta-film et il est regrettable qu'elle n'ait pas pu voir le jour au profit d'une conclusion moins ironique et plus consensuelle.

Mais il n'y a pas besoin de chercher très loin des correspondances extradiégétiques dans BIRDMAN puisqu'elles sont visibles rien qu'au niveau du choix de ses acteurs. Edward Norton est l'un des rares comédiens à avoir été excommuniés par le studio Marvel après L'INCROYABLE HULK, en partie à cause de son désir de liberté créatrice permanente et de son dédain relatif pour les films purement commerciaux. On pourrait même aller jusqu'à dire que sa scène de bagarre avec Keaton fait un écho volontairement grotesque avec son mémorable rôle dans le FIGHT CLUB de David Fincher. De son côté, Naomi Watts rejoue les actrices ingénues comme au temps du MULHOLLAND DRIVE de David Lynch, cherchant à percer dans un grand rôle tout en se laissant tenter par les joies du saphisme. Mais le lien le plus évident entre la réalité et la fiction réside évidemment dans la présence de Michael Keaton.

Il est probable que l'on regrettera longtemps le fait que le comédien ait été privé de son oscar le mois dernier alors que celui-ci aurait non seulement récompensé sa longue et fructueuse carrière mais aussi son "come back" foudroyant avec le rôle de sa vie (au point qu'il est impossible d'envisager quelqu'un d'autre que Keaton pour incarner le héros de BIRDMAN). Avec le regretté Christopher Reeves qui avait prêté ses traits à Superman, Keaton reste le super-héros originel au cinéma. Ses deux BATMAN réalisés par Burton sont les précurseurs d'une vague depuis pervertie par une concurrence aussi massive que féroce qui ne jure plus que par les mêmes schémas narratifs : les "origin stories", les "reboots", les "multiverses",... De fait, Riggan n'aurait pu être joué par quelqu'un d'autre puisque Riggan est Michael Keaton.

"Birdman" est un ersat du Batman que Keaton a interprété (au grand désarroi des fans du "comics", il est toujours bon de le rappeler), et ce jusque dans son costume assez similaire avec l'homme chauve-souris et sa voix grave qui rappelle celle utilisée par Christian Bale dans la trilogie THE DARK KNIGHT de Christopher Nolan. Mais la réussite de BIRDMAN tient cependant au fait qu'il n'y a malgré tout pas besoin de connaître toutes ces références, tous ces clins d'oeil pour saisir le propos de l'oeuvre. En parlant de thèmes universels (l'envie de reconnaissance, la peur de l'oubli, le désir de création, la compréhension du monde par la fiction) par le biais d'un procédé de mise en scène servant à retranscrire cinématographiquement un flux de conscience, BIRDMAN nous plonge de façon inédite dans les méandres de l'âme de son héros principal pour mieux nous révéler nos propres angoisses existentielles.

 

UN DERNIER AVIS POUR LA ROUTE :

"Vous êtes... LE Batman ? Ou vous êtes juste Batman ?"

Selina Kyle, BATMAN - LE DEFI (1992)

 

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commentaires

C
Assez d'accord avec ce billet: j'ai trouvé que le réalisateur enfonçait des portes ouvertes et renvoyait tout le monde dos à dos...et au final, je me suis dit "tout ça pour ça"? Ce qui n'enlève rien à la prestation des acteurs que je trouve tous très bons.
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S
Votre blog est une source d'inspitation ! merci pour vos articles.<br /> Patrick.
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D
Merci pour cet article .
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