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15 mai 2015 5 15 /05 /mai /2015 12:08

C'est peu dire que les semaines qui ont séparé la sortie du HACKER de Michael Mann et celle du MAD MAX - FURY ROAD de George Miller sont apparues comme une franche période de disette au sein d'une année cinématographique pourtant sacrément chargée. De toute façon, il était hors de question pour moi d'aller voir AVENGERS 2 et FAST & FURIOUS 7 afin que je puisse avoir le droit d'en dire légitimement du mal (tout en leur donnant quelques "dollars" supplémentaires pour qu'ils atteignent plus rapidement la barre du milliard au box office. Je trouve absurde de casser du sucre sur le dos de Marvel et de la franchise de Vin Diesel - qui passe plus son temps à vanter les valeurs de la sacro-sainte famille américaine qu'à faire exploser des bagnoles - pour ensuite se précipiter dans les salles de cinéma afin de faire comme les autres puis de perdre son temps à en écrire une critique hargneuse, histoire de clamer haut et fort que l'on n'est pas dupe (mais que l'on a malgré tout suivi le mouvement).

Bref, ça a été pour moi l'occasion de me tenir un peu à l'écart des salles pour privilégier des films qui n'ont pas eu le droit à une exploitation en bonne et due forme dans les cinémas. J'ai donc décidé de parler de quatre de ces oeuvres que je trouve intéressantes et malheureusement bien peu présentes médiatiquement. Ce sont ainsi de bonnes alternatives à la soupe que Hollywood tend à nous servir chaque fois que le mois d'avril vient de s'achever.

 

 

STRETCH est le dernier long métrage de Joe Carnahan, metteur en scène américain de MISE A PRIX, L'AGENCE TOUS RISQUE et du magnifique LE TERRITOIRE DES LOUPS. Puisqu'il est perçu comme l'un des rares cinéastes de films d'action à avoir dignement succédé à Paul Verhoeven et à John McTiernan, qui ont été excommuniés par Hollywood au tournant du XXIème siècle, ce long métrage aurait en temps normal dû bénéficier d'une sortie en salles. Or non seulement STRETCH n'y a pas eu droit en France, mais il en a aussi été privé sur le territoire étasunien, et ce, malgré un casting regroupant Patrick Wilson, Chris Pine, James Badge Dale, Jessica Alba, Ray Liotta et David Hasselhoff. Bien que prévu originellement pour le 21 mars 2014 aux USA, STRETCH a été laché au dernier moment - pour une mystérieuse raison - par le studio Universal Pictures juste deux mois auparavant.

Ce fut non seulement une mauvaise surprise pour son réalisateur, qui en avait aussi écrit le scénario et qui s'est depuis longuement épanché sur les réseaux sociaux pour exprimer sa colère contre la Mecque du cinéma, mais aussi pour son producteur Jason Blum qui passa les mois suivants à chercher d'autres distributeurs potentiels. En vain. Personne dans le circuit traditionnel n'a voulu de ce petit film de 5 millions de dollars mélangeant joyeusement action, thriller et comédie hystérique. STRETCH est donc revenu dans le giron d'Universal afin que le studio et l'équipe du film trouvent une option pour l'exploiter commercialement. Le long métrage fut finalement mis à disposition sur iTunes et Amazon.com le 7 octobre 2014 avant d'être sorti directement en vidéo une semaine plus tard. Evidemment, on attend désespérément un geste de la part des distributeurs français, mais même une exploitation en DVD ne semble même pas envisageable à l'heure actuelle.

Pourtant cet AFTER HOURS survitaminé est loin d'être honteux artistiquement parlant. STRETCH suit un chauffeur de limousine incarné par Wilson. Se rêvant acteur mais n'ayant réussi qu'à obtenir ce boulot, il est donc réduit à conduire des stars méprisantes à travers Los Angeles en ruminant ses anciens rêves de gloire. Il a aussi eu le malheur de contracter une énorme dette auprès de bandits et dont il ne cesse de repousser le rembousement. Il se retrouve alors acculé au cours d'une nuit très mouvementée durant laquelle il va devoir trouver et rendre la somme qu'il leur doit tout en faisant une rencontre capitale avec un étrange milliardaire interprété par Chris Pine.

Certes, on pourra justement arguer que STRETCH n'est pas le meilleur film de Carnahan et qu'il ressemble davantage à une récréation créative entre deux projets de plus grande envergure. Cela ne l'empêche pas de dégager une énergie communicative et de faire preuve d'une inventivité réjouissante, surtout au vu de son budget assez restreint. Le spectacle est aussi fun qu'honorable, en plus de donner l'occasion de voir Carnahan régler ses comptes avec l'hypocrisie et le cynisme hollywoodien en égratignant ses icones et ses nombreux idéaux frelatés. A l'instar d'une oeuvre de Quentin Tarantino - et non de l'un de ses trop nombreux ersatzs - l'argument de série B, les nombreuses ruptures de ton, l'apparente superficialité et la constante mise en abime cinématographique de l'oeuvre est un vernis recouvrant un spleen et un existentialisme qui méritent largement que l'on s'y attarde. 

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Contrairement à STRETCH, HOUSEBOUND a malheureusement clairement plus le profil d'un DTV aux yeux des distributeurs français. D'abord parce que c'est une oeuvre néo-zélandaise qui n'est ni réalisée par Peter Jackson, ni par Jane Campion. Pire encore, c'est un premier film avec un casting d'inconnus. Ensuite parce qu'il s'agit d'un long métrage mélangeant huis-clos et film de fantôme, genre malheureusement très concurrentiel au sein duquel il est difficile de se différencier. Pas de chance, HOUSEBOUND est de cela. Loin d'être un énième "horror flick" balisé comme on en voit fleurir des centaines par an, HOUSEBOUND est en plus un long métrage qui refuse le cynisme et l'opportunisme de bon nombre de ses rivaux (l'imbécile OUIJA pour ne pas le citer qui, lui, a eu droit à une exploitation en salles parce qu'il était produit par Michael Bay).

Cependant, HOUSEBOUND ne révèle sa vraie nature qu'un peu trop tardivement, après un premier acte un poil longuet qui pourrait venir à bout des plus impatients. Ils auraient cependant torts de ne pas aller jusqu'au bout tant le virage que le long métrage de Gerard Johnstone prend est assez jubilatoire. HOUSEBOUND débute comme un huis-clos hitchcockien aussi amusant qu'oppressant grâce au truculent personnage de la mère jouée par Rima Te Wiata et à une série de "jump scares" comiques destinée à anesthésier notre vigilance pour nous en asséner plus tard quelques-uns qui sont proprement terrifiants. Bien que n'évitant pas quelques passages obligés et réemployant plusieurs images ou symboles trop familiers, le film dévie lentement pour passer du film de fantôme balisé à la pure comédie horrifique.

Sans atteindre le niveau des premiers longs métrages de Peter Jackson (BAD TASTE et BRAINDEAD), des pantalonnades réputées pour être très régressives et extrêmement gores, HOUSEBOUND réserve toutefois son lot de surprises peu ragoutantes, de délicieux frissons et de belles tranches d'humour noir. Le personnage principal féminin interprétée par Morgana O'Reilly, une jeune voleuse condamnée qui est contrainte de purger une peine de plusieurs mois en demeurant recluse dans la maison apparemment hantée qui appartient à sa mère, se démarque en de nombreux points de la jeune héroïne naïve et virginale que l'on retrouve habituellement dans ce type de productions. Cela permet au film de sortir peu à peu de ces chemins balisés pour trouver sa propre tonalité. Si le mélange de comédie et d'horreur n'est pas nouveau au sein du paysage du cinéma de genre, il requiert un doigté primordial afin de parfaitement doser ces deux tonalités supposées contradictoires.

Non seulement Gerard Johnstone parvient à les mêler sans que leurs apports s'annulent, mais il réussit aussi à ce que cette opposition renforce l'impact de ces deux atmosphères. Et ce n'est pas là le moindre des exploits accomplis par Johnstone au cours de ce tournage qui s'est étendu sur plus d'un an avec un budget très réduit. Tirant le meilleur des maigres moyens mis à sa disposition, HOUSEBOUND apparait comme un charmant film artisanal qui sait pertinemment que son impact sur le spectateur sera toujours plus fort si chacun de ses effets est savamment pensé et élaboré de façon intègre. Il est bien dommage qu'une telle démarche ne soit pas davantage soutenue par la France qui s'est contentée de discrètement l'exploiter en DVD depuis le 20 mars 2015, soit plus de six mois après sa sortie initiale en Nouvelle Zélande.

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Le cas de KON-TIKI est un peu plus surprenant et problématique. Co-réalisé par Joachim Rønning et Espen Sandberg qui avaient été repérés en 2006 avec le sympathique BANDIDAS, ce drame historique est une très grosse co-production européenne entre la Norvège, le Danemark, l'Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni. Pas trop le genre de film à être relégué au placard, surtout par un pays comme la France. Pourtant cela fait trois ans que ce long métrage attend d'être exploité sur notre territoire. Il ne le pourra qu'à partir du 2 juin 2015, et directement par la case DVD/Blu-ray. Pourquoi un film d'aventure comme KON-TIKI, qui retrace l'expédition éponyme menée en 1947 par le norvégien Thor Heyerdahl (joué par Pål Sverre Valheim Hagen) afin de prouver que les Polynésiens pouvaient être les descendants de peuples ayant migré sur des radeaux depuis les côtes sud-américaines - et non depuis l'Asie du sud-ouest comme on le croyait alors, se retrouve-t-il privé de salles chez nous ?

KON-TIKI est pourtant à la Norvège ce que THE IMPOSSIBLE ou AGORA est à l'Espagne : des superproductions. Il est étrange qu'un pays européen aussi important que la France, qui a passé un certain nombre d'années à vilipender la suprématie américaine dans le domaine cinématographique, soutienne si timidement - pour ne pas dire ignore royalement dans certains cas - des efforts européens de cette envergure. KON-TIKI ne peut même pas se vanter d'être bazardé dans une cinquantaine de salles à travers tous le pays pour une durée n'excédant pas deux semaines. Pourtant il dispose d'un certain nombre d'atouts qui auraient dû lui permettre de se démarquer de la masse des productions internationales qui envahissent régulièrement nos écrans.

KON-TIKI est la plus gros budget pour une production norvégienne à ce jour et a été le film ayant obtenu les meilleures résultats au box-office norvégien au cours de l'année 2012. Il a été diffusé lors du Festival du Film International de Toronto et a été nominé pour l'Oscar et le Golden Globe du Meilleur Film Etranger après que les droits de distribution sur le territoire américain aient été achetés par la Weinstein Company (qui achète les droits de toutes les productions qu'Harvey Weinstein considère susceptibles de lui faire obtenir des récompenses). Le tournage s'est étendu sur trois mois et demi en Norvège, à Malte, en Bulgarie, en Thailande, en Suède et aux Maldives. Plus impressionnant encore, l'équipe a tourné les scènes maritimes sur l'océan, et non en studio comme il est coutume de le faire pour des raisons de facilité. Enfin, le long métrage a été tourné à la fois en norvégien et en anglais pour des raisons d'exploitations commerciales, la plupart des scènes ayant été filmées sous ces deux versions.

Bref, un projet pharaonique dans sa conception et dont la mise en scène se révèle souvent à la hauteur de son sujet (on a même droit à un somptueux plan liant l'homme avec l'univers comme le faisait Amenabar dans AGORA ou George Miller dans HAPPY FEET 2). Il n'est d'ailleurs pas étonnant, vu la prouesse accomplie par les deux cinéastes, qu'ils aient été aussitôt engagés par Disney pour mettre en scène sa grosse production maritime que sera PIRATES DES CARAIBES 5. Mais la force de KON-TIKI ne réside pas tant dans son côté spectaculaire - même s'il l'est, et plutôt deux fois qu'une, en particulier lorsqu'il convoque une dizaine de requins blancs autour du radeau - que dans sa manière de jouer encore une fois avec les attentes du public face à un récit sous forme de huis-clos.

Sans forcément atteindre la puissance de L'ODYSSEE DE PI d'Ang Lee, le plus fameux film de dérive maritime de ces dernières années, KON-TIKI parvient à rivaliser avec ALL IS LOST de J.C. Chandor sans pour autant se montrer aussi radical dans son parti pris. Bien que de structure classique, KON-TIKI marque par la manière dont il sait gérer les moyens mis à sa disposition - assez maigres par rapport à ceux dont bénéficierait une production américaine - et tirer le meilleur parti du moindre centime afin de livrer un spectacle qui semble en avoir coûté quatre fois plus. Les deux cinéastes refusent toutefois de céder à l'épate inutile afin de judicieusement resserrer les enjeux dramatiques quand cela est nécessaire, en se focalisant particulièrement sur leurs doutes et leur désarroi face à un monde bien plus grand et cruel qu'eux. Un monde qui ne cesse paradoxalement de fasciner au point que l'on cherche encore et encore à s'y confronter.

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Pour les amateurs de cinéma d'horreur, le nom de WOLF CREEK dit forcément quelque chose. Il s'agit du premier film de Greg McLean, un cinéaste australien qui reçut une reconnaissance immédiate tant ce coup d'essai avait tout du coup de maître. "Survival" d'une violence extrême se déroulant dans le désert australien, WOLF CREEK avait révélé en 2005 l'un des psychopathes les plus marquants du cinéma : Mick Taylor (John Jarratt), un bouseux xénophobe qui chasse des randonneurs étrangeurs quand les bufles et les kangourous viennent à manquer dans la région désolée où il vit. Malgré sa réputation, McLean n'avait ensuite réalisé qu'un seul autre long métrage en dix ans : SOLITAIRE, sorti en 2008 et qui est sans problème le meilleur film de crocodile fait à ce jour.

Sous la demande pressante des fans du premier opus, McLean a fini par se lancer dans l'écriture puis la réalisation d'un sequel. WOLF CREEK 2 a disposé d'un budget plus large que le précédent épisode et a même eu droit à une projection lors du Festival de Venise de 2013. Le long métrage est ensuite sorti en Australie le 20 février 2014 et il a alors fallu attendre un an, le 7 avril 2015 plus exactement, pour qu'il soit légalement disponible sur le territoire français. Encore une fois, on ne peut que regretter cette décision tant le spectacle qu'offre WOLF CREEK 2 aurait bien mérité d'être projeté sur un grand écran.

En effet, cette suite se démarque du film original par sa tonalité et son ampleur cinématographique. Un choix judicieux qui permet à McLean de s'aventurer sur d'autres terrains tout en dirigeant ses personnages et son univers vers des voies imprévues. Si WOLF CREEK s'apparentait à un "survival" horrifique, gore et réaliste franchement dérangeant et révulsant, WOLF CREEK 2 ressemble davantage à une chasse à l'homme cartoonesque, à la limite de la parodie, aux forts accents de néo-western à la Sergio Leone. Si on pouvait craindre un effet de distanciation ou de moquerie de la part de McLean vis-à-vis de l'outrancier Mick Taylor, le réalisateur parvient in extremis à éviter le cynisme et l'ironie complice, deux fléaux qui gangrènent le cinéma de genre contemporain.

WOLF CREEK 2 est une expérience d'autant plus surprenante et réjouissante qu'elle joue sur les attentes des spectateurs, en particulier ceux qui ont vu le premier film. Ainsi, de nombreuses scènes font écho à l'épisode antérieur pour ensuite mieux les détourner et les conclure de façon complètement imprévue. WOLF CREEK 2 est une suite mûrement réfléchie afin de déjouer le piège dans lequel tombe une majorité de sequels : à savoir être une simple redite "bigger and louder". La démesure n'est cependant pas exclue, notamment grâce à un scope fabuleux qui magnifie les paysages australiens, à une violence graphique exagérée et à des morceaux de bravoure dignes d'une production californienne (dont une course poursuite avec un camion qui cite explicitement le chef d'oeuvre de Steven Spielberg, DUEL).

Ce jeu de massacre aux ruptures de ton aussi audacieuses qu'inattendues nous met sur la sellette pendant plus de quatre-vingt-dix minutes et s'amuse à éliminer les personnages que l'on croyait principaux pour mieux rendre l'issue de l'intrigue surprenante. Cet enchainement ininterrompu de péripéties dingos culmine avec une dernière demi-heure sous la forme d'un huis clos anxyogène. Après une série de poursuites à travers les vastes étendues désertiques du bush, le récit de WOLF CREEK 2 se ressert sur un jeu de questions-réponses aussi tendu que drôle, un peu comme si Quentin Tarantino avait décidé de filmer l'émission "Qui veut gagner des millions ?". Au final, WOLF CREEK 2 est un festin qui laisse toutefois un goût amer tant la xénophobie hypertrophiée de l'inénarrable Mick Taylor n'est pas sans rappeler certaines polémiques qui ont frappé l'Australie et la France au sujet de leurs politiques migratoires. Ou quand le cinéma de genre se révèle avoir un propos social plus juste et frontal que beaucoup d'oeuvres se disant ouvertement "sociales".

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