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31 décembre 2012 1 31 /12 /décembre /2012 14:27

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/93/60/26/20328305.jpg

Titre original : Life of Pi

Film américain sorti le 19 décembre 2012

Réalisé par Ang Lee

Avec Suraj Sharma, Irrfan Khan, Ayush Tandon,…

Aventure, Drame, Conte

Après une enfance passée à Pondichéry en Inde, Pi Patel, 17 ans, embarque avec sa famille pour le Canada où l’attend une nouvelle vie. Mais son destin est bouleversé par le naufrage spectaculaire du cargo en pleine mer. Il se retrouve seul survivant à bord d’un canot de sauvetage. Seul, ou presque… Richard Parker, splendide et féroce tigre du Bengale est aussi du voyage. L’instinct de survie des deux naufragés leur fera vivre une odyssée hors du commun au cours de laquelle Pi devra développer son ingéniosité et faire preuve d’un courage insoupçonné pour survivre à cette aventure incroyable.

      

Cette critique contient quelques spoilers majeurs, il est donc préférable d’avoir vu le film avant de la lire.

Le taïwanais Ang Lee est un réalisateur pour le moins atypique. Dans une industrie hollywoodienne où l’on ne confiait que des films d’action/policier aux réalisateurs hongkongais venus se réfugier après la rétrocession de leur ville à la Chine (parmi lesquels on comptait John Woo et Tsui Hark) et où l’on perpétue encore cette tradition avec la nouvelle vague sud-coréenne en leur filant des projets bien en accord avec leurs filmographies passées (un « actioner » burné à Kim Jee-woon, un thriller aux bords du fantastique pour Park Chan-wook), Ang Lee fait figure d’anomalie tant son parcours alterne les genres pour le moins inattendus.

On l’a tour à tour retrouvé aux manettes d’un film à costume adapté d’un célèbre roman anglais (Raison et sentiments), d’un « wuxia » un tantinet occidentalisé afin de le faire cartonner en Europe et en Amérique (Tigre et Dragon), d’un « blockbuster » super-héroïque expérimental (le déroutant et peu aimé Hulk), d’un thriller historique chinois flirtant parfois avec le film érotique (le très beau Lust, Caution), d’une comédie dramatique légère sur le festival de Woodstock (Hôtel Woodstock) ou encore d’une romance gay mélangeant drame et « western » (le célèbre Secret de Brokeback Mountain qui lui apporta la consécration),… Cela ne surprendra pas grand monde de le voir maintenant s’atteler avec cet Odyssée de Pi au film d’aventure lorgnant sur le conte fantastique.

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20313349.jpgChemin de croix

Le roman du canadien Yann Martel est un véritable « best-seller » qui se coltine depuis près de dix ans la réputation d’être absolument inadaptable. Il cumule en effet les « handicaps » prompts à faire reculer un réalisateur. Tout metteur en scène de cinéma dira qu’il y a trois choses d’absolument infernales sur un tournage : avoir un enfant ou un jeune adolescent en acteur principal, filmer un animal sauvage et tourner sur ou sous l’eau. Manque de pot, le livre de Martel cumule les trois difficultés. L’adaptation cinématographique ne pouvait se faire sans un important budget qui financerait les très nombreux effets spéciaux permettant de jongler sans danger ni contretemps avec ces trois détails (l’eau, l’enfant et l’animal sauvage qui est, en l’occurrence, rien de moins qu’un dangereux tigre du Bengale).

Ang Lee n’est pas le premier des grands réalisateurs à s’être risqué à cette, jusque-là, très décevante aventure personnelle qu’était la tentative d’adaptation du bouquin de Martel. Des pointures comme Alfonso Cuaron (Harry Potter et le Prisonnier d’Azkaban, Les Fils de l’Homme) et M. Night Shyamalan (Sixième Sens, Incassable) ont jeté l’éponge après s’être penchés quelques mois sur le projet. Le réalisateur français Jean-Pierre Jeunet (Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain, Un Long Dimanche de Fiançailles) y consacra deux années de sa vie mais sans succès ; il s’étend sur la préproduction puis l’échec très frustrant de son adaptation dans un passionnant article publié sur son blog. Ce n’est donc qu’avec l’arrivée d’Ang Lee que le projet se débloqua, en partie par le fait que les effets spéciaux nécessaires à l’adaptation étaient arrivés à maturité tout en demeurant « raisonnables » d’un strict point de vue économique.

Le variable Ang Lee, malgré des sujets ou des audaces esthétiques intéressantes, ne semblait pas de prime abord le cinéaste le plus adéquat pour ce type de long métrage qui tiendrait davantage du pari technologique que du simple film de divertissement. Surtout quand on sait que c’est le studio 20th Century Fox qui est à la barre. Un studio réputé pour sa très régulière absence de bon sens dans le cadre de la production à grand budget, n’hésitant pas à forcer la main des metteurs en scène en les censurant, en les bridant et en coupant allègrement leurs longs métrages pour les faire correspondre à sa vision bassement mercantile et souvent avilissante du public. Un studio qui a enchainé quelques croutes plus ou moins insultantes comme Die Hard 4 de Len Wiseman (et bientôt Die Hard 5 par l’incapable John Moore), Percy Jackson - Le voleur de foudre de Chris Columbus, Predators de Nimrod Antal, La Planète des Singes - les origines de Rupert Wyatt, Wolverine de Gavin Hood et bien sûr l’inénarrable et inoubliable Dragon Ball Evolution de James Wong. Un studio qui, rappelons-le encore une fois car ça ne fait pas de mal, considérait à la fin 2009 que le gros succès sur lequel il misait parmi ses poulains allait non pas être l’Avatar de James Cameron mais Alvin et les Chipmunks 2.

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20381530.jpgNaufrage

C’est donc avec une immense surprise que l’on assiste à la projection de L’Odyssée de Pi. On pourra toujours arguer sur le fait que si le film d’Ang Lee est aussi réussi, c’est d’abord grâce à la qualité et à l’originalité de son matériau de base. Il faut dire que le concept est assez inédit et suffisamment savoureux pour se démarquer des nombreuses histoires (films ou livres) relatant le parcours presque messianique d’un naufragé jusqu’à un rivage salvateur. Si le livre de Martel était réputé inadaptable, cela ne voulait pas dire que l’aventure qu’il relatait était dépourvue de résonnances ou de rebondissements. Sinon comment expliquer cet acharnement, jusque-là vain, à l’adapter sur grand écran ?

Le long métrage d’Ang Lee se rapproche beaucoup du dernier film de Martin Scorsese, Hugo Cabret. Celui-ci fut aussi vendu comme un « film pour enfants » à gros budget doté d’une caution artistique pour le moins inattaquable. Et ils firent tous les deux une performance financière un peu juste sur la scène internationale. Peu importe, L’Odyssée de Pi et Hugo Cabret ont beaucoup plu aux critiques et aux spectateurs les ayant vus. Et il ne fait déjà aucun doute que la 20th Century Fox adoptera la même démarche que les producteurs d’Hugo Cabret, à savoir retourner à son avantage ce relatif échec économique en faisant du film une « glorieuse production ». Une production si ambitieuse que l’on prévoyait à l’avance les ratés au box-office et que l’on en faisait fi puisque celle-ci amènerait un prestige non négligeable au catalogue de films financés par le studio.

L’erreur aura été, comme pour Hugo Cabret, d’avoir vendu le dernier long métrage d’Ang Lee comme un film pour enfants. Une œuvre sirupeuse au possible présentée au travers d’une campagne « marketing » absolument consternante entre les bandes annonces recouvertes sur la chanson « Paradise » de Coldplay (heureusement absente du film) et les affiches toutes plus dégueulasses les unes que les autres. Difficile d’avoir envie de mettre un pied en salle tant la promotion à l’ouest ne rassurait pas quant à la bonne tenue d’un long métrage ayant été frappé par un si long « development hell » ; et ils sont nombreux les films à avoir souffert d’un tel traitement, à l’image de l’imparfait mais pourtant si sympathique John Carter d’Andrew Stanton.

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20381539.jpgVoyage spirituel

Mais si l’on pouvait clairement être rebuté par quelques effets spéciaux assez kitsch dans la bande annonce, il faut bien reconnaitre que l’ensemble du long métrage de Lee, sans aucun doute son plus ambitieux techniquement à ce jour, tient non seulement la route mais relève régulièrement du jamais vu. Inutile de préciser que l’oscar des meilleurs effets spéciaux se jouera inévitablement entre le quantitatif Le Hobbit de Peter Jackson et le qualitatif L’Odyssée de Pi. Le tigre Richard Parker, le principal problème qui empêchait la transposition de cette histoire à l’écran, est surement l’une des plus brillantes créatures en CGI que l’on ait pu voir à ce jour (bien qu’il soit interprété par un vrai tigre dans certains plans où il se retrouve tout seul). A cela s’ajoute l’aussi brillante animation des quelques autres animaux sur le canot de sauvetage (un zèbre, un orang-outan et une hyène) ; un détail que ne dévoilait pas les bandes annonces qui ne montraient que le terrible carnivore squatteur.

Visuellement, le film est plein de couleurs. Un vrai ravissement pour les yeux tant il se fait rare de voir un « blockbuster » qui ne soit pas drapé dans un triste bichrome grisâtre ou bleuté. Après le SkyFall de Sam Mendes et Le Hobbit de Peter Jackson, L’Odyssée de Pi confirme que le film à gros budget coloré est signe de qualité cette année. Quelques spectateurs verront peut-être certaines séquences comme les excès d’un esthétisme à la guimauve ; mais soyons libre d’y voir des scènes d’une poésie et d’une fantaisie rarissime. On est régulièrement à la lisière du fantastique, à l’image de ce passage durant l’aube au cours duquel le jeune Pi envoie un message sur une mer si lisse que l’on ne distingue plus la frontière entre l’océan et le ciel jaune orangé. Les séquences nocturnes et phosphorescentes avec le bond de la baleine hors de l’eau ou encore le plan séquence montrant ce que Pi, en plein délire, s’imagine voir sous la surface de l’océan sont même purement fantasmagoriques.

Et pour cause car ce n’est pas tant à un voyage physique que spirituel auquel nous invite Ang Lee. Et si l’œuvre peut surprendre, c’est justement parce qu’elle est emprunte d’un fort mysticisme. Bien que la portée de son magnifique message puisse être perçue par un enfant de dix ans, le film de Lee est à l’intention d’un public adulte avant tout. Plus qu’un film pour enfants, L’Odyssée de Pi est davantage destiné aux spectateurs plus âgés ayant conservés leurs âmes d’enfants. Au même titre que le Hugo Cabret de Scorsese, vendu comme un grand huit féérique alors qu’il était d’abord un biopic caché sur George Méliès et une déclaration d’amour au cinéma faite par un cinéphile, L’Odyssée de Pi est moins une gentille relecture maritime du Livre de la Jungle version Disney qu’une réflexion sur la place de la croyance, du merveilleux, de l’indicible et de l’imaginaire dans la vie d’un homme. Ainsi que de l’importance que ces choses peuvent prendre lorsque ce même homme se retrouve dans une situation désespérée.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20208615.jpgLa Nature et la Grâce

Il est troublant de remarquer que deux des meilleurs films de cette année traitent de la mise à l’épreuve de la foi par le biais d’une terrible catastrophe remettant en cause toutes les croyances dans lesquelles s’étaient enfermés leurs personnages principaux. Ce deuxième film dont il est question est évidemment le tétanisant Le Territoire des Loups de Joe Carnahan. Leurs ressemblances sont si troublantes que les deux longs métrages apparaissent comme les négatifs de l’un et de l’autre. Carnahan livre la version pessimiste de l’histoire d’Ang Lee. Le « leader » des survivants dans le film de Carnahan, interprété par Liam Neeson, apparait comme un croyant qui voit sa foi vaciller face aux atroces épreuves de son périple à travers une nature semblant lui faire payer par mille tous les péchés de son ancienne vie. A la fin, il finit par ne plus croire à l’existence d’un dieu tant son expérience et celles de ses anciens compagnons désormais décédés apparaissent comme si inhumaines qu’une déité miséricordieuse n’aurait jamais pu laisser faire sans intervenir en faveur des victimes. Jusqu’à ce qu’un ultime « signe » apparaisse afin de lui faire comprendre le pourquoi de son parcours christique.

Ce « signe » divin, que l’on ne révèlera pas pour ceux qui n’ont pas encore découvert le magnifique chef d’œuvre de Carnahan et qui souhaite si plonger, a une signification exactement inverse de celui que reçoit Pi vers la fin de son errance à travers le Pacifique. Cet adolescent indien a un lien encore plus fort avec « Dieu ». D’abord parce qu’il a expérimenté diverses religions au cours de son enfance. Né hindou, il a « rencontré » le Christ avant d’expérimenter l’Islam et, une fois adulte, il donnera occasionnellement des cours sur la Kabbale. Il a toujours eu un rapport très fictionnel avec ces dieux. Au départ, Pi Patel les voyait plus comme des super-héros que comme des symbolisations de l’Humanité. C’est là qu’entre en jeu la fiction. Le Père de Pi, pur produit de l’Inde moderne, est un rationaliste tandis que sa Mère, plus traditionnelle, est une femme aimante accordant une plus grande importance au cœur et à la spiritualité. Une structure triangulaire (le Père rationnel, la Mère spirituelle et l’Enfant au milieu qui cherche quelle voie choisir) qui est très similaire à celle que l’on retrouvait dans le somptueux The Tree of Life de Terrence Malick, où un jeune héros devait choisir le chemin qui déterminerait le reste de sa vie (la Nature symbolisée par Brad Pitt et la Grâce symbolisée par Jessica Chastain).

Dans les deux cas, cet Enfant confronté à un monde binaire tache de trouver un compromis permettant de garder le meilleur des deux voies, de façon à ce qu’elles ne s’annihilent pas mais, au contraire, s’alimentent. Même si Pi semble, y compris à l’âge adulte, davantage tourné du côté de la religion et de la croyance, il ne renie pas tout ce que son père lui a enseigné. D’abord le fait de tout remettre en cause. Pi remet en question son propre nom ridicule (Piscine Molitor Patel qui devient le plus rationnel et mathématique Pi), la religion catholique (Pourquoi Dieu nous a-t-il crée si imparfaits ? Pourquoi a-t-il donné son fils ? Pourquoi a-t-il sacrifié l’innocent pour racheter la faute du coupable ?) et, d’une certaine manière, son propre récit à la fin du long métrage.

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20313351.jpgDésillusion

Une habitude qui lui vient de ce père qui lui expliquait déjà, lors d’une petite scène faussement anodine au cours des vingt premières minutes, que la religion était un spectacle visant à détourner les gens de la réalité. Une duperie. Ou, comme la langue française le sous-entend sournoisement, un « divertissement ». Le père rejette la fiction, l’allégorie, la métaphore. Toutes les formes visant à enjoliver une réalité tout en souhaitant paradoxalement décerner à son audience une vérité. Pour un esprit cartésien comme celui du père Patel, la représentation ou le symbolisme ne sauraient aussi bien témoigner d’une réalité qu’une expérience scientifique. Et là où Pi, encore petit et inconscient, voit un tigre comme un être doté d’émotions, le père n’y voit qu’un féroce carnivore dominé par son simple instinct.

Une fois que cette inévitable perte de l’innocence a été faite, amenant le héros à trouver le monde bien moins merveilleux qu’auparavant, Pi se retrouve dans un univers à la fois dénué de poésies et de rêveries. Ce qui était autrefois un Eden (le zoo où il a grandi) est devenu un fardeau pour sa famille. Au point que celle-ci doive se résoudre à le vendre et à déménager, l’obligeant à renier son passé dans l’espoir incertain de trouver ailleurs une vie meilleure. Pi quitte son premier amour, son pays natal et sa propre maison pour partir vers l’inconnu. Son enfance est définitivement finie.

Vraiment ? Car c’est là que cela se complique. Un évènement encore plus tragique semble vouloir entériner davantage cette mort de l’innocence enfantine (à la manière du récent The Impossible de J.A. Bayona). Mais celui-ci s’accompagne justement du retour de l’imagerie fantastique et de l’apparition de l’invraisemblable dans le récit. Si tout ce qui précédait auparavant semblait parfaitement plausible, le naufrage du navire fait office de bascule narrative et esthétique. Et pourtant, on acceptera la plausibilité de l’histoire jusqu’à sa conclusion où le narrateur (Pi adulte) nous révèlera justement son caractère si incroyable que la plupart des personnes ont bien du mal à la prendre pour argent comptant une fois qu’elle a touché à sa fin.

http://fr.web.img3.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20313344.jpgRemise en question

Vient alors une forme de « twist » final, qui n’en est pas vraiment un, qui laisse supposer de l’un des principaux intérêts de Shyamalan dans cette adaptation (en plus de son atmosphère mystique, naturaliste et orientale). Après avoir assisté pendant plus d’une heure à un récit jamais questionné, le spectateur est incité par le protagoniste principal à se poser des interrogations sur son récit. C’est alors qu’arrive une nouvelle histoire, racontée cette fois par le jeune survivant à deux japonais venus enquêter sur le naufrage du cargo. Une histoire relatée au cours d’un plan séquence tout simple qui se « contente » de lentement zoomer sur le visage de Pi. Et si l’on croit au départ qu’il invente une histoire plus plausible pour être tranquille et satisfaire les deux enquêteurs, la manière dont il la raconte, de manière de plus en plus ému et convaincue, laisse penser qu’il pourrait bien s’agir du récit « réel et rationnel » de son périple. Un périple si cruel que Pi aurait préféré l’enjoliver pour pouvoir la raconter.

Car il y a bien une vraie résonnance entre ces deux versions de l’histoire. Chaque animal sur le bateau correspond à un personnage humain bien précis rencontré lors de la traversée. Là où ce « twist » n’en est pas vraiment un, c’est que le film refuse de donner une réponse définitive sur la véracité de l’un ou de l’autre des deux récits. L’ambition de L’Odyssée de Pi est justement d’être une démonstration sur le fait que ces récits se valent l’un l’autre et qu’il importe peu de trouver celui qui est « vrai » puisque les deux touchent du doigt une même vérité. Libre alors au spectateur de choisir la manière qu’il préfère pour l’atteindre. Et, comme l’ajoutera Pi, il en va de même pour « Dieu » dont les diverses religions ne font que le raconter d’une différente façon.

Dans notre monde qui a perdu toute mythologie et où l’ensemble de la population se morfond régulièrement dans le pessimisme, il est pour le moins audacieux et nécessaire de rappeler le rôle crucial que doit encore jouer la fiction (ici le cinéma) dans notre société. Et de justifier ce besoin de créer même dans les situations les plus désespérées afin de conserver quelque chose sur lequel s’appuyer ; comme lorsque Pi relate son aventure (imaginaire ?) sur un carnet avant de le perdre et de sombrer dans la folie. Puis d’enfoncer le clou en montrant la supériorité du symbolisme, de l’imagination et de la croyance à raconter et à faire ressentir la réalité. Car il n’y aura que bien peu de spectateurs qui répondront à la question directe de Pi en choisissant le second récit plus sinistre et vraisemblable, d’autant plus lorsque le récit « invraisemblable » dispose exactement des mêmes enjeux et de la même signification que l’autre version plus crédible.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/34/20381532.jpgLe pouvoir de la fiction

Et c’est là qu’on peut être amené à revoir sous un autre angle ce long métrage dont les deux histoires se mettent à se mélanger intrinsèquement. On commence alors à jouer au jeu des analogies et celles-ci sont particulièrement visibles entre Pi et ce tigre au nom humain pouvant être vu comme l’autre face d’une même pièce ; une séquence de nuit montre d’ailleurs le jeune homme à quatre pattes tel un fauve tandis que le vrai félin se retrouve dans une position assise presqu’humaine. Les deux sont complémentaires puisque le tigre peut être perçu comme la part violente, animale et mauvaise de Pi (cette part d’ombre que l’on retrouve dans chaque homme). Une correspondance symbolique qui était très tôt entérinée par un simple plan ayant l’apparence d’un très efficace « jump scare » et qui, aidée par une 3D magnifique, devient l’un des effets de projection les plus impressionnants et pertinents vu à ce jour au cinéma en mettant littéralement en image l’idée que Pi, en plein désespoir, laisse brutalement sortir le tigre caché en lui.

Il y aurait beaucoup de choses à dire sur ce grand film qu’est L’Odyssée de Pi. Un chef d’œuvre, l’un des très rares de 2012, qui conclut sur une belle note une année très fade qui avait vu régulièrement un recul de l’originalité et de l’imaginaire. Autant dire que la réussite du film d’Ang Lee ne fait que confirmer son message à la fois optimiste et salvateur. Le long métrage, malgré une introduction un petit peu longuette mais nécessaire, est parfaitement rythmé. Et ce, même si l’on peut regretter un excès de séquences dans le « présent », où Pi adulte à un peu tendance à expliciter inutilement ce que le film fait parfaitement comprendre par l’image. Pour le reste, le long métrage est un délice qui laisse le spectateur avec des étoiles pleins les yeux. Loin d’être infantile, le film n’étant pas exempt  d’une certaine cruauté et possédant un nombre conséquent de scènes assez tendues (le tigre n’étant en rien mignon), L’Odyssée de Pi est un conte merveilleux et intelligent comme on aimerait en voir plus souvent. La preuve que le cinéma ambitieux existe encore à une époque où on commençait vraiment à douter de la bonne évolution du 7ème art.

NOTE :  9 / 10

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/90/31/76/20091252.jpg

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