Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
30 novembre 2012 5 30 /11 /novembre /2012 23:47

http://www.elseptimoarte.net/carteles/lo_imposible_14654.jpg

Titre original : Lo Imposible

Film américano-espagnol sorti le 21 novembre 2012

Réalisé par Juan Antonio Bayona

Avec Naomi Watts, Ewan McGregor, Tom Holland,…

Drame

L’histoire d’une famille prise dans une des plus terribles catastrophes naturelles récentes. Ou comment un couple et leurs enfants en vacances en Thaïlande sont séparés par le tsunami du 26 décembre 2004. Au milieu de centaines de milliers d’autres personnes, ils vont tenter de survivre et de se retrouver.

      

Juan Antonio Bayona s’était imposé dès son premier film comme le réalisateur espagnol le plus important apparu depuis Alejandro Amenabar (Ouvre les yeux, Mar Adentro, Les Autres et Agora). Sous la houlette bienveillante de Guillermo Del Toro, Bayona avait réalisé le magnifique L’Orphelinat, éclosion en fanfare et quasi apothéose précoce de ce cinéma de genre espagnol que le monde entier envie depuis une poignée d’années. Ce long métrage brillant était un habile mélange entre le film de fantôme et le thriller fantastique, le tout teinté de quelques fulgurances horrifiques et gores, servant avant tout à révéler un drame très poignant sur le deuil et la souffrance d’une mère d’avoir perdu son enfant mais aussi de lui avoir survécu.

De survie, il en sera encore une fois question dans ce second film mais de manière encore plus frontale. Puisque L’Orphelinat a été l’un des plus gros cartons au box-office hispanique, Bayona a pu clairement voir à la hausse ses ambitions et les moyens mis à sa disposition. Et il en avait bien besoin puisqu’il entendait retracer la séparation d’une famille de touristes en vacances en Thaïlande après que leur hôtel de luxe ait été balayé par le tsunami de 2004 de sinistre mémoire. Là encore, Bayona sait parfaitement doser les genres et ne livre évidemment pas un bête film catastrophe spectaculaire et tape-à-l’œil. Le centre de The Impossible est bien plus l’élément humain que la débauche d’effets spéciaux au passage absolument brillants de réalisme.

http://fr.web.img1.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/91/99/77/20248462.jpgAffaire de morale

Si le film de Bayona a été, sans mauvais jeu de mot, un véritable raz-de-marée au box-office espagnol, au point de devenir le plus gros succès national (et le second derrière le paradoxalement insubmersible Titanic de James Cameron), il semble passer assez inaperçu en France. Avec une distribution assez fragile et une campagne marketing pas très cohérente pour un film d’une telle ampleur et doté d’un tel budget, The Impossible dispose malheureusement de nettement moins de visibilité que quelques grosses productions d’une rare vacuité et imbécilité comme Twilight 4 ½. Pire, lorsque les critiques parlent de lui, c’est pour le balayer d’un revers de la main, condamner son ethnocentrisme (sans prendre la peine de la questionner une seule seconde), s’insurger de son sentimentalisme hollywoodien, voire même de son audace amorale à user des règles les plus élémentaires de la grammaire cinématographique pour relater son histoire.

Il faudra apparemment longuement répéter que ce film est financé intégralement par l’Espagne et est incarné par des acteurs anglais, et non américains. Le choix de la langue de Shakespeare est une concession nécessaire pour cette grosse production qui, si elle veut être rentabilisée, ne peut pas uniquement compter sur le sol ibérique et doit ainsi se permettre une exploitation sur le marché anglo-saxon assez réfractaire au sous-titrage. Plusieurs problèmes apparaissent aux yeux de cette critique française qui n’aime rien tant qu’à s’outrager à tort et à travers pour la moindre œuvre étrangère ambitieuse et ressortir du placard des polémiques et théories analytiques dépassées depuis cette toute aussi traitresse « Nouvelle Vague ».

Quand ce n’est pas le travelling qui est affaire de morale, c’est donc le suspense ou toute tentative de découpage cinématographique à proprement parler qui le devient. Quel outrage ! A l’inverse de plus de 95% des réalisateurs français actuels, Bayona refuse de faire une œuvre bavarde, digressive, faussement transgressive et préfère raconter une histoire par l’image et le montage tout en permettant de rendre absolument évidents les thématiques et les émotions qu’il entend faire passer. Laissons alors de côté les soi-disant critiques de cinéma qui s’insurgent de voir de la « manipulation » dans la réalisation de Bayona (mot de toute façon connoté péjorativement) alors que le cinéma est toujours affaire de mise en scène et donc de truchements et d’artifices.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/92/79/54/20257899.jpgContraste filmique

Il est vrai que, de par son sujet douloureux et surtout assez récent, le réalisateur de The Impossible se trouvait face à quelques problématiques inévitables au début de la conception de son œuvre. L’une d’elle est la représentation de l’horreur. Non pas une horreur ludique comme dans la grande majorité des productions de genre qui s’apparente le plus souvent à des manèges de foires. Mais une horreur telle qu’elle a réellement existé, telle qu’elle a été vécue par de potentiels spectateurs. Cette fidélité dans la reconstitution d’évènements souvent singuliers nécessite une artillerie lourde en termes de production et appose ainsi, volontairement ou non, un cachet de « film-spectacle ». Et il est inévitable de se poser la question du bienfondé de cette démarche faisant de quelque chose de réel et d’absolument tragique une œuvre spectaculaire et, par conséquent, divertissante (là encore, l’étymologie française est foncièrement dépréciative). Et puis peut-on vraiment critiquer la spectacularisation de cette catastrophe naturelle sachant que les médias s’en sont chargés à l’époque sans aucune vergogne, montrant en prime-time des images amateurs montrant la mort de dizaine de personnes et faisant vivre l’horreur heure par heure ? Cette spectacularisation et cet excès de pathos est inhérent à un tsunami qui fut l’une des première catastrophe naturelle à avoir été (presque) filmée en « direct ».

The Impossibleest-il un spectacle morbide, cynique et de mauvais goût ? Non, mille fois non. S’il ressemble énormément à un autre film de Spielberg sur lequel nous reviendrons, on pourrait au départ apparenter la démarche du film de Bayona à celle, hautement polémique à l’époque, de La Liste de Schindler. Au début des années 90, Spielberg incarnait dans le monde, et particulièrement en Europe, une certaine image de l’artiste-cinéaste américain et de sa propension à, soi-disant, faire du cinéma populaire impersonnel au rabais afin de plaire au plus grand nombre, de gagner plein d’argent et de vendre une certaine quantité de produits dérivés affiliés à chacun de ses nouveaux longs métrages. Mais la mauvaise foi des critiques de l’époque avait beau les aveugler, on ne peut nier certains paradoxes, pour le coup typiquement américains, dans la personnalité et la filmographie de Spielberg. Notamment cette habitude de faire régulièrement alterner gros « blockbusters » (Les Dents de la Mer, les trois premiers Indiana Jones) et des drames intimistes plus difficiles à produire mais financés par les pharamineuses recettes des premiers (Rencontre du 3ème Type, E.T., L’Empire du Soleil).

En 1993, Spielberg était dans une situation délicate. Il osait enfin s’atteler après des années de réticence à ce qui se voulait être le premier film « grand public » sur la Shoah. Une appellation qui apparaissait antinomique dès le départ et un simple parti pris qui frisait le scandale au vu du pedigree de son metteur en scène. Mais pour financer ce projet peu vendeur en noir et blanc, Spielberg accepta de réaliser au préalable Jurassic Park. Un succès commercial en échange de quelques coudées franches sur un film plus prestigieux mais bien moins rentable. Un procédé classique qui voyait ici une limite morale, Spielberg supervisant ainsi des images de dinosaures photoréalistes après avoir passé une journée à orchestrer les sinistres camps de la mort. Les journalistes et critiques passèrent leurs temps à brailler mais le fait est que, malgré les très fortes polémiques qui le secouèrent à sa sortie, le film rencontra un immense succès populaire tout en contribuant largement à restaurer ce sujet alors mal connu par la jeune génération et à poursuivre le devoir de mémoire.

http://cdn.glamour.es/uploads/images/thumbs/201241/lo_imposible_2566_600x.jpgLa Liste de Bayona

The Impossible  retrouve cette nature assez contradictoire aux yeux d’un Français, et bien moins à ceux d’un Américain, voulant que le long métrage soit une hybridation. Un film de divertissement, dans lequel le public doit retirer un certain plaisir ou une satisfaction visuelle et émotionnelle, qui aurait pour sujet un drame très sensible, la tragédie en Asie du Sud-Est ayant fait plus de deux cents milles morts. Le danger est alors de verser dans une complaisance obscène. Et ils sont nombreux les films à ne pas être parvenus à dépasser leurs sujets hautement délicats et lacrymaux et qui se sont contentés de cette façade pour offrir des films soit frustrants (World Trade Center d’Oliver Stone), soit à la limite du vulgaire (La Rafle de Rose Bosch ou Extrêmement Fort et Incroyablement Près et The Reader de Stephen Daldry). C’est l’un des principaux reproches que font les critiques et détracteurs de The Impossible, sortant à tout bout de champ leur morale pour expliquer un malaise forcément fortuit.

Hors si l’on se penche sur les déclarations de Bayona, on se rend rapidement compte qu’il était pleinement conscient des choix et des ambiguïtés qui se présentaient à lui. La question du hors champ est prédominante face à ce sujet. Peut-on représenter ce qui est irreprésentable en termes de terreur et d’horreur ? Il est vrai qu’on pourra inutilement s’agacer du choix de Bayona de privilégier une histoire de survie ayant pour cadre un évènement où eut lieu au contraire la mort de centaines de milliers de personnes. Un peu comme on s’est insurgé en vain sur le choix de Spielberg de se focaliser sur un parcours optimiste et rédempteur tout en l’inscrivant pourtant dans le cadre de l’un des plus grands échecs tragiques de l’humanité. Peut-être parce qu’on croit à tort que The Impossible est un film sur le tsunami de 2004 alors qu’il est avant tout un film sur les retrouvailles miraculeuses (« impossibles ») de divers membre d’une famille séparée par une catastrophe. Ça aurait pu être n’importe quelle autre tragédie, une éruption volcanique ou bien un ouragan, que ça n’aurait pas fondamentalement changé le long métrage de Bayona. De même que La Liste de Schindler n’est pas avant tout un film sur la Shoah. Celle-ci n’est que le cadre morbide et désespéré dans lequel cette aventure personnelle et lumineuse doit trouver sa place.

Dans les deux films, l’horreur absolue est sciemment hors champs. Mais les critiques font malheureusement l’amalgame entre « hors champs » et « absent ». Comme le symbolisait merveilleusement une sublime scène de La Liste de Schindler, dans laquelle l’un des personnages décrivait cette liste de papier blanc comme l’unique source de lumière et d’espoir perdue au milieu d’un sombre néant, l’horreur n’est jamais très loin. Cette famille de touristes (tous impeccablement interprétés, Naomi Watts en tête) est la « liste » de Bayona. Le soupçon d’espoir au milieu d’un carnage apocalyptique malgré tout très loin d’être édulcoré. Car il faut être sérieusement aveugle pour déclarer que The Impossible est une version hollywoodienne et proprette de cette tragédie. Les plans subliminaux dans The Impossible demeurent largement plus traumatisants que ce que contiennent bon nombre de films d’horreur actuels.

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/92/79/54/20257902.jpgDécadence

Cet optimisme et cet intimisme privilégiant la petite histoire à hauteur d’homme plutôt que la grande Histoire est un choix préalable. Il est quand même sidérant de voir la séquence finale être taxée de « happy end » de mauvais goût sachant qu’elle est celle vers laquelle tend constamment le film. Sans elle, le film de Bayona n’a pas de but. Selon des détracteurs qui ne veulent pas voir au-delà du bout de leur nez, Bayona préfèrerait raconter la victoire et la survie du riche homme blanc occidental plutôt que la tragédie et la mort des dizaines de milliers d’Asiatiques qui vivaient sur les lieux du drame. De même que la grande majorité des films catastrophes hollywoodiens se déroule en Amérique (comme si le phénomène de fin du monde ne touchait que les Etats-Unis), Bayona aurait choisi de montrer le tsunami du point de vue des touristes américano-européens comme si cette « minorité » de victimes avait bien plus d’importance.

On pourrait pourtant être gré du choix de Bayona qui a sans doute préféré raconter cette histoire à partir du point de vue avec lequel il était le plus familier (puisqu’il est lui-même européen) plutôt que de se lancer dans l’écriture maladroite d’une famille asiatique sans vraiment tenir compte des différences culturelles et en y apposant maladroitement des présupposés occidentaux. Ce choix ethnocentré a enfin plusieurs intérêts narratifs et c’est à ce niveau-là que la ressemblance avec L’Empire du Soleil, à savoir le plus grand film de Spielberg et l’œuvre quasi matricielle de sa filmographie, est la plus frappante. Il apparait comme impossible de taper sur l’un tout en encensant le second.

Le film de Spielberg était adapté du roman semi-autobiographique éponyme de J.G. Ballard et relatait le parcours d’un jeune garçon appartenant à un gotha anglais fermé dans le Shanghai pré-Pearl Harbor. Une fois que l’invasion japonaise s’est étendue sur toute la région après la célèbre attaque de la flotte américaine à Hawaï, le petit « Jimmy » (incarné par le très jeune et déjà phénoménal Christian Bale) est séparé de ses riches parents occidentaux et ère à travers un pays exotique dans lequel il apparait en décalage permanent. Comme L’Empire du Soleil, The Impossible est en fait l’histoire de la chute de la civilisation occidentale. L’un raconte la fin de l’empire colonial britannique à l’aune de la Seconde Guerre mondiale, l’autre la dévoile par la destruction des symboles de son artificialité et de son consumérisme effréné (hôtel quatre étoiles, piscine, avion de luxe,…). Et on remarquera que l’origine sociale des héros est assez identique : deux jeunes garçons élevés dans l’opulence et disposant de ce que bon leur semble.

http://www.izaping.com/wp-content/uploads/2012/10/lo-imposible-2012-pelicula.jpgIdentité et origine sociale

Pourquoi ce choix ? Car l’impact est nettement plus grand. Il est bien plus douloureux d’avoir tout eu puis de tout perdre que de ne pas avoir eu grand-chose et de se retrouver par conséquent avec « juste » un peu moins. C’était ce que montrait Florent Emilio Siri dans son Cloclo en faisant de ce « fils de riches », tombé à vingt ans dans une précarité fortuite, un être obsédé toute sa vie par la peur de tout reperdre. Le jeune Claude François vit son confort bourgeois s’envoler après la Nationalisation du Canal de Suez ; le jeune Jim Ballard fut extirpé de force de son luxueux carcan sécurisé pour être plongé dans la plus profonde des pauvretés dans la banlieue de Shanghai  puis dans un camp de prisonniers. Le fils aîné de la famille que dépeint The Impossible perd son innocence en voyant tout ce dont en quoi il croyait et se réfugiait partir en lambeaux.

Il est assez amusant de constater que ce sont ces mêmes parangons de la bonne morale qui condamnent les premiers ce choix de classe sociale fait par Bayona pour ses personnages. Ainsi donc, les riches, lorsqu’ils sont frappés par un tsunami, n’auraient pas leur mot à dire. Ils vivaient dans l’opulence alors ils n’auraient pas le droit de souffrir voire de faire même mention d’une quelconque douleur. Or s’il y a bien une chose sur laquelle insiste pourtant Bayona, c’est que ce tsunami, aussi meurtrier soit-il, réinstaure une balance momentanée au sein de cette humanité meurtrie. Tout le monde est dépourvu du moindre atour et tout le monde se retrouve au même niveau. Il était impossible de discerner dans le camp de L’Empire du Soleil lequel des prisonniers était un ancien professeur, un ancien ouvrier ou bien un ancien baron. Spielberg retravaillera d’ailleurs cette idée dans Il faut sauver le soldat Ryan lorsqu’il montrera les soldats d’une escadre ne parvenant pas à deviner ce que faisait leur sergent (Tom Hanks) avant que la guerre ne l’arrache de son quotidien et ne l’oblige à prendre les armes.

Tout récemment, le terrible Silva (Javier Bardem) que devait affronter James Bond (Daniel Craig) dans le SkyFall de Sam Mendes, montrait à son ennemi son fief secret : une île qui a précipitamment été désertée après qu’il ait fait croire à une fuite chimique dans l’usine à proximité des habitations. Il déclarait alors à 007 que cette ville insulaire en ruine lui rappelait de ne conserver que le strict nécessaire dans sa vie, de ne rien garder de futile, et s’amusait du nombre d’objets « superflus » instantanément laissés sur place par leurs propriétaires lorsqu’ils ont réalisés que leur vie était en danger. Le tsunami rebat les cartes et amène les survivants à s’interroger sur ce qui demeure vraiment important à leurs yeux. D’où un premier quart d’heure idyllique dont l’esthétique est à deux doigts de sombrer dans celle d’une pub pour assurance. Mais les critiques ont préféré pointer du doigt cette introduction au lieu de voir pourquoi Bayona choisissait justement de débuter son film sur des images aussi agaçantes dans leur façon de dévoiler cette famille aisée et rêvée.

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/91/99/77/20248454.jpgSous la Surface

Car si l’on y regarde bien, cette famille n’a qu’une apparence proprette. Un couple et trois enfants, tout beaux et tout souriants, ne s’inquiétant que de futilités (l’alarme de la maison protégeant leurs biens matériels accumulés après quelques années de travail bien payé) et s’aimant tous passionnément. Aucune « vague » à l’horizon. Tout est parfaitement calculé. Ils sont l’incarnation idéal de ce bonheur auquel les occidentaux » aspirent : réussite familiale et professionnelle, vacances dans de prestigieux hôtels, de préférence à l’écart de la population locale (d’où sa relative « absence »),… Pourtant l’introduction fait déjà craqueler cette surface et annonce quelques possibles rapports déliquescents : le frère aîné rejetant son frère cadet, la mère s’inquiétant des turbulences en avion, le père faisant mine de ne pas entendre l’envie de sa femme de reprendre son travail,…

Toutes ces quinze premières minutes sont à l’image du premier plan. Apparaissant après un brouhaha anxiogène annonçant le futur tsunami tel un train que rien n’arrête, et qui s’apprête à tout dévaster sur son passage, la première image dévoile un paysage de carte postale soudain entaché par l’arrivée bruyante et inquiétante d’un avion de ligne qui passe à toute allure comme le raz-de-marée ultérieur. Le fait que la catastrophe se déroule le lendemain de Noël (terrible et réelle ironie), après que cette famille se soit pleinement adonnée à ce simulacre de bonheur parfait en se couvrant de cadeaux matériels, ne fait que renforcer cette destruction symbolique par le tsunami des idéaux culturels et commerciaux.

Après les réjouissances vient l’horreur. Elle prend la forme d’un « monstre » évocateur et abominablement familier comme les aime un Spielberg qui réussissait à broder des films terrifiants avec un unique camion (Duel), un seul requin (Les Dents de la Mer) ou un tripode anorexique (La Guerre des Mondes). Ce « monstre » prend ici l’apparence d’une vague. A priori, rien de bien affolant si ce n’est que celle-ci fait six mètres de haut et qu’elle est accompagnée de tout un pan de l’océan qui la pousse à tout engloutir sur son passage. Impossible à arrêter, inattendue et démesurée. Ces éléments aussi familiers et protecteurs que la mer paradisiaque et l’eau révèlent soudain une potentialité meurtrière absolument effarante. Son arrivée emprunte d’ailleurs pas mal au cinéma « spielbergien » puisqu’elle fait écho à l’annonce effrayante des tyrannosaures dans Jurassic Park et Le Monde Perdu (arbres qui tombent à son passage, vitre et eau qui tremblent, grondement sourd).

http://fr.web.img3.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/91/99/77/20248455.jpgAller vers son Prochain

Mais plus qu’un film de monstre ou un film catastrophe, le tsunami en lui-même n’étant présent que sur une faible portion de cette œuvre qui préfère s’attarder davantage sur les conséquences de son passage, The Impossible est fondamentalement un film sur la fin de l’innocence. Le réveil brutal d’une famille auparavant dorlotée dans un lit douillet où rien ne lui manquait. On a pas aussi bien filmé la mort de l’innocence enfantine depuis L’Empire du Soleil. Ce dernier convoquait cette tragédie par le biais de quelques séquences ou plans incroyablement forts (la gifle que la servante chinoise donne à Jimmy, le sang qui s’écoule depuis une blessure sur son front,…). Bayona la dévoile à l’aide d’images tout aussi percutantes, notamment par la désacralisation de la Mère qui voit sa chair et son sang se révéler presqu’impudiquement aux yeux de ses enfants à travers des blessures terrifiantes.

Tout espoir n’est cependant pas irrémédiablement perdu. Au même titre que le petit Jimmy retrouvait occasionnellement sa nature d’enfant en se laissant aller à quelques jeux plus ou moins inconsidérés, le fils ainé Lucas (Tom Holland) retrouve des attitudes enfantines lorsque celui-ci est séparé de sa mère. Et il est difficile, en voyant Lucas courir dans les couloirs de cet hôpital afin d’aider son prochain, de ne pas se remémorer le petit Christian Bale cavalant à travers le camp de prisonniers pour apporter des objets, du réconfort ou un appui à autrui. Aussi terrible soit-il, le tsunami a au moins permis à ces miraculés de se rappeler et de se recentrer sur l’essentiel : leur humanité, leur empathie et leur inclination à aller vers l’autre et à lui apporter son aide. Les cyniques hurleront au bon sentimentalisme dégoulinant ; parlons plutôt d’un humanisme optimiste qui voudrait que l’homme puisse être capable du meilleur lorsqu’il est confronté au pire. Un humanisme comme en ont fait régulièrement preuve quelques auteurs « mineurs » comme Steven Spielberg, James Cameron, Hayao Miyazaki ou George Miller, ces derniers ayant reçu auparavant un mépris et des qualificatifs similaires à ceux que reçoit aujourd’hui Bayona.

D’où l’éternel rappel de la réunification, qui n’est d’ailleurs pas que finale. Si les corps ont été éparpillés par la Nature, c’est par la volonté de l’Homme qu’ils peuvent de nouveau se rapprocher, « fusionner ». D’où la séquence de suspense tant décriée montrant les divers membres de la famille se déplaçant dans l’hôpital sans jamais se croiser. L’intérêt de la scène n’est pas dans le fait de savoir s’ils vont parvenir ou non à se retrouver. La réponse est évidente. Elle est non seulement montrée dans l’affiche originale de The Impossible, mais elle est aussi constamment annoncée par les personnages. Quel est l’intérêt sinon de les voir se rechercher pendant plus d’une heure si ce n’est pas pour leur permettre de se retrouver, d’une façon ou d’une autre, à la fin ? C’est d’ailleurs cette « façon » qui est le centre de la scène puisque Bayona la repousse indéfiniment en la rendant plus improbable, plus miraculeuse, plus « impossible ». Il cherche à créer une attente insoutenable, une sorte de crescendo émotionnel qui explose à la fin sous une musique larmoyante mais somptueuse de Fernando Velázquez. La musique a été par ailleurs assez montrée du doigt, les détracteurs la condamnant sous prétexte qu’elle en faisait des caisses dans le pathos ; elle est pourtant assez proche du style d’un John Williams.

http://fr.web.img2.acsta.net/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/92/79/54/20257904.jpgAu-Delà

L’Orphelinat parlait de deuil, The Impossible essaye au contraire de montrer l’importance du non renoncement, de la persévérance, de la croyance (pas dans le sens religieux). Les deux auraient pourtant pu se rapprocher davantage lorsque l’on sait qu’il devait y avoir des éléments fantastiques dans le récit. Une approche qui a probablement été abandonnée après la sortie du drame Au-delà de Clint Eastwood au tout début de 2011 et qui voyait le personnage incarné par Cécile De France faire une expérience de mort imminente (EMI) après avoir été emporté par ce même tsunami de 2004. Une séquence d’introduction qui avait, à juste titre, impressionné à sa sortie. Mais il faut bien avouer que la séquence similaire de The Impossible la renvoie malgré tout au placard. Doté d’effets spéciaux tétanisant de réalisme, la scène est d’une violence et d’une puissance à laisser pantois. Contrairement au film d’Eastwood, l’eau n’est plus limpide mais boueuse. La scène fait mal et on a rarement retranscrit avec autant de précision la puissance d’un courant.

Une autre scène rapproche le film de L’Orphelinat. Une courte séquence, anodine dans le long métrage final mais qui l’était peut-être moins dans une version antérieure du script, qui se rapproche du précédent film en employant une même actrice (Geraldine Chaplin qui incarnait la « medium » dans L’Orphelinat). C’est avec celle-ci que l’on peut conclure qu’au moins un des personnages centraux de l’intrigue (et il est facile de deviner lequel) devait décéder puisque la séquence tisse la métaphore des étoiles qui brillent encore à nos yeux alors qu’elles sont déjà mortes depuis longtemps. Une séquence vers la fin reconvoque plus fortement cette imagerie fantastique lorsque la mère est plongée dans une profonde anesthésie afin qu’on tente de la sauver. Après s’être agrippée à la vie, elle craint de lâcher prise mais ne peut que s’exécuter. Son opération est alors symbolisée par un « flashback » montrant ce qu’elle a subi dans le tsunami mais qui avait été éludé par une pertinente ellipse.

Vient enfin ce final si décrié mais qui est parfaitement logique avec ce qui a été précisé auparavant. Après avoir passé son temps à ne pas s’atteindre, la famille peut enfin retourner dans son monde factice. Cette fin est profondément ambigüe puisqu’on est à la fois content pour cette famille et en même temps dérangé par cette assureur en costard qui les amène dans un jet privé. Bayona n’approuve pas cette conduite et le montre bien par sa mise en scène. Même aux yeux de cette famille aisée, cela n’a plus sa place dans un monde où des dizaines de milliers de personnes pleurent encore leurs morts sans avoir eu droit à la moindre considération d’un assureur. Il y a quelque chose d’injuste dans cette scène. Une sorte de malaise. Le même qui tiraillait l’héroïne de L’Orphelinat : la malaise d’avoir survécu. Le malaise d’avoir été protégé et d’être accompagné alors que d’autres sont morts, perdus. Rien ne sera plus comme avant. Cet avion est devenu lui-même anxiogène pour le spectateur. La fin de L’Empire du Soleil résumait bien cette idée avec cet ultime gros plan sur le regard de Jimmy. Malgré les fatidiques retrouvailles (qui elle-même jouait sur un effet de suspense assez similaire à celui de The Impossible), l’enfant a perdu son innocence et cette étincelle de pureté dans ses yeux. Son regard est plus sombre car l’enfant a connu la mort, la peur, le désarroi, le délabrement, la destruction. Il est adulte et ne sera plus jamais rassuré. Tout retour en arrière est désormais impossible.

NOTE :  8,5 / 10

http://images.allocine.fr/r_640_600/b_1_d6d6d6/medias/nmedia/18/92/79/54/20257906.jpg

Partager cet article
Repost0

commentaires

A
Très bonne critique, tu pousses trop la réflexion à mon sens... Il y a tout de même des choses intéressantes même si je pense que le film n'a pas été aussi "intellectualisé" que ça.
Répondre
D
Certes, il est vrai que le cinéma de Bayona vise d'abord à parler à l'affect plutôt qu'à l'intellect. Mais je pense qu'une bonne part des symboles (notamment religieux) n'ont pas été placé là par hasard. Après, je pense que c'est ce que le spectateur tire d'un film (aussi capilotractés soient ses idées) qui fait sa richesse.
P
Bravo, très bonne critique.
Répondre

Présentation

  • : L'Ecran Masqué
  • : Un blog regroupant les critiques et les articles de deux frères, cinéphiles amateurs mais érudits (un peu, en tout cas)
  • Contact

Compteur de visites

Archives