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9 novembre 2010 2 09 /11 /novembre /2010 01:11

                                               

 - Film américano-australien sorti le 27 octobre 2010

 - Réalisé par Zack Snyder

 - Avec Emily Barclay, Abbie Cornish, Essie Davis,…

 - Animation, Fantastique, Aventure,…

            C'est l'aventure de Soren, une jeune chouette fascinée par les histoires épiques que lui racontait son père sur les Gardiens de Ga'Hoole, une bande de mythiques guerriers ailés qui avait mené une grande bataille pour sauver la communauté des chouettes des Sangs Purs...

Warner Bros. FranceWarner Bros. France

            S'il y a bien un nouveau réalisateur qui divise les cinéphiles ces dernières années, c'est bien Zack Snyder. Les uns le voient comme un petit génie visionnaire particulièrement doué au niveau de l'esthétisme de ses long-métrages ; les autres comme un fumiste poseur et décérébré symbolisant tout ce que la culture « geek », devenue à la mode et politiquement correct, peut offrir de pire. La vérité semble dans cet entre-deux et Le Royaume de Ga'Hoole ne fait que le confirmer.  

            Le principal reproche que l'on puisse faire sur les aptitudes filmiques de Zack Snyder est qu'il a une certaine tendance à bêtement recopier les matériaux d'origine, et qu'il adapte sans faire un vrai travail de réflexion et d'appropriation. C'était déjà le cas de 300, mais c'est encore plus le cas de Watchmen ; film considéré par une bonne partie de la critique et du public comme un chef d'oeuvre du genre alors qu'il n'est qu'un bon film de super-héros très loin de tutoyer les sommets que sont les Spider-man 2, Batman : le défi, Les Indestructibles et Incassable. Bénéficiant de l'exceptionnelle richesse thématique de l'oeuvre d'Alan Moore, le film proposait quelques pistes intéressantes, quelques réflexions pertinentes et un visuel, certes poseur, mais assez impressionnant, les scènes d'actions insupportables mis à part. Mais le long-métrage de Snyder ressemblait bien trop à « une bande-annonce de deux heures quarante » qui aurait pour but de résumer, et donc de survoler complètement, la BD. Le constat final étant que Snyder n'était en (presque) rien responsable des quelques qualités de Watchmen. Le Royaume de Ga'Hoole dispose du même problème, mais dans le sens inverse cette fois. 

            Pour le coup, le dernier film de Snyder est une vraie réussite du point de vue des images et de la mise en scène. Les paysages sont grandioses, la photographie est magnifique, les cadrages sont bien choisi, le montage est rythmé sans être épileptique et les ralentis si caractéristiques de Snyder (pourtant agaçant dans Watchmen surtout quand ils surlignaient à outrance les scènes d'action) rendent plus pertinent l'utilisation de la 3D qui est ici éblouissante. Le Royaume de Ga'Hoole est avant tout un gigantesque plaisir pour les yeux. Snyder réussit même à livrer quelques unes des plus belles séquences de l'année, la palme revenant à celle où la chouette Soren, lors d'une nuit d'orages particulièrement violents, vole au ralenti au milieu de milliers de gouttes de pluie, la 3D donnant l'impression aux spectateurs qu'ils sont entourés de ces gouttelettes étincelantes. Moment de grâce magique mais qui n'est pas le seul : impression de profondeur vertigineuse lors de scènes de vol épiques, souci du détail rendant les paysages splendides et grandiose, batailles aériennes qui rappellent quelques belles séquences d'Avatar,... Et il faut féliciter la société « Animal Logic », qui avait travaillé sur Happy Feet, pour son admirable travail sur la modélisation et l'animation des différentes chouettes du film, à un tel point qu'on pourrait les croire réelles. 

            Le problème c'est que sur tous ces points forts, bien peu sont vraiment imputables à Snyder. La beauté visuelle hallucinante du film vient avant tout bien plus du boulot titanesque accompli par les nombreux animateurs d'« Animal Logic », qui travaillaient sur le film dès l'annonce de sa production, que d'un véritable apport de Snyder qui arriva assez tard sur le projet. Les principaux apports de Snyder semblent avant tout les ralentis dont il est très friand et la supervision d'un montage efficace, clair mais qui amène beaucoup trop de raccourcis préjudiciable à l'intrigue. Car si Snyder a vraisemblablement progressé dans la façon de tenir une histoire de manière cohérente, notamment le parcours de Soren respectant dans l'ensemble les étapes classiques de celui du héros devenant un « mythe », son récit souffre de quelques facilités d'écriture. Facilités qui malmènent la cohérence du récit notamment la crédibilité du parcours du héros qui se fait dans un laps de temps improbable. On est certes dans le domaine du film pour enfants (quoique) mais cela n'excuse pas ce genre de facilités, Soren accomplissant en trois jours des actions que la plupart des autres protagonistes ne pourraient même pas accomplir sans un très long entrainement.  

            Des séances d'entrainement qui sont bien trop courtes au détriment de certaines scènes plus dispensables, notamment dans la première demi-heure. Et lors de l'une de ces rares scènes, Snyder fait un choix très malencontreux de bande son (douloureux souvenir du « Hallelujah » de Watchmen). La bande originale n'est, entre parenthèses, pas non plus très judicieuse : bien trop grandiloquente, pompière et copiant bien souvent et pâlement celle d'Howard Shore pour la trilogie du Seigneur des Anneaux. Mais les faiblesses d'écritures se ressentent surtout sur la caractérisation des personnages. Le changement de camps du frère de Soren n'est pas des plus subtils par exemple ; le grand méchant Bec d'Acier est terriblement caricatural et n'a pas d'autre but que de dominer le royaume des chouettes, l'incarnation assez bancale du Mal en somme ; certains personnages secondaires ne sont pas suffisamment étoffés et parfois limités à quelques running gags censés les caractériser ; et le traitement scénaristique de Mrs Plithiver, le serpent, est quasi-criminel.  

            Cependant, en marge, on peut noter un ton plus sombre que dans la moyenne des dessins animés pour enfants, l'humour étant tout sauf le point fort du film tant il est peu présent et efficace. Certains passages sont assez violents et impressionnants, la bataille finale, toutes proportions gardées certes, est par exemple plus proche du Seigneur des Anneaux que du Alice au pays des merveilles de Burton. Et en filigrane, on pourra remarquer une esquisse de discours sur le rapport entre le mythe, le héros et la réalité bien plus sombre, violente et moins romanesque (la chouette héroïque qu'admire Soren tout au long du film se révèlera bien différente de ce qu'il avait imaginé). Le Royaume de Ga'Hoole, malgré son « happy end » laissant présager une possible suite, le film n'étant que l'adaptation des trois premiers livres de la série, se révèle donc plus pessimiste et mature que prévu, allant jusqu'à refuser toute rédemption à certains personnages. 

            Le Royaume de Ga'Hoole demeure donc sur le haut du panier des productions récentes, car malgré tous les défauts que l'on peut reprocher à Snyder il n'en reste pas moins bien plus talentueux que bons nombres de faiseurs et de « yes-men » sans personnalité actuels. On regrettera juste un scénario beaucoup trop faible et mal écrit, quelques longueurs et, paradoxalement, de trop nombreux raccourcis dans le déroulement de l'histoire qui gâchent un spectacle visuel hallucinant de beauté et d'immersion. On attend maintenant avec une certaine inquiétude son Sucker Punch dont les premières images sont loin d'être rassurantes.

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Warner Bros. FranceWarner Bros. France

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7 novembre 2010 7 07 /11 /novembre /2010 11:12

                                                

 - Film hispano-mexicain sorti le 20 octobre 2010

 - Réalisé par Alejandro González Inarritu

 - Avec Javier Bardem, Maricel Alvarez, Eduard Fernández,…

 - Drame

            C'est l'histoire d'un homme en chute libre. Sensible aux esprits, Uxbal, père de deux enfants, sent que la mort rôde. Confronté à un quotidien corrompu et à un destin contraire, il se bat pour pardonner, pour aimer, pour toujours...

Javier Bardem. ARP SélectionMaricel Álvarez. ARP Sélection

            Après un passage peu remarqué à Cannes, mais où il a quand même réussi à empocher un prix d'interprétation masculine mérité pour Javier Bardem, Biutiful sort enfin sur nos écrans. Inarritu est probablement le moins bon élève du trio mexicain qu'il forme avec Guillermo del Toro et Alfonso Cuaron, et notamment par le côté un peu roublard des histoires chorales de son scénariste favori, Guillermo Arriaga, qui abusait de l'astuce du « tout est lié » dans ses trois précédents long-métrages. Mais Biutiful marque probablement un tournant pour le cinéaste car il a cette fois écrit le scénario tout seul et a ainsi focalisé la trame sur un seul homme.  

            Changement de structure donc, bien loin du film choral avec trop de personnages qui seraient miraculeusement tous reliés ; la crédibilité de ces coïncidences étant la principale faiblesse de ce type de film comme le Collision de Paul Haggis. Le nombre des personnages secondaire est vraiment resserré, se limitant surtout à la famille proche du héros, un couple d'immigrés et deux homosexuels chinois avec qui le personnage incarné par Bardem travaille ; l'homosexualité de ces derniers étant plutôt la caution « auteurisante » largement dispensable du film puisqu'elle n'a aucune conséquence sur l'histoire. On en arrive au défaut majeur du dernier long-métrage d'Inarritu : l'excès de misérabilisme. A force de vouloir aborder tout un tas de sujet tabous comme l'homosexualité, l'immigration illégale, la maladie, la précarité ou l'addiction, Inarritu noie à certains moments son film dans ce « trop » (de thématiques,  de misére, d'évènements...). A force de vouloir faire un film trop riche, Inarritu étouffe parfois son film et particulièrement le parcours « spirituel » du héros auquel il aurait mieux fait de coller. 

            Hormis cet aspect du long-métrage, qui peut rebuter le spectateur qui pourra s'agacer d'un film trop larmoyant voire qui se complait un peu trop dans le sordide, Biutiful demeure avant tout le portrait d'un homme qui se retrouve face à sa mort imminente après le diagnostic d'une maladie mortelle et qui décide de mettre de l'ordre dans sa vie avant qu'elle ne s'achève. Le schéma est certes classique mais demeure toujours émouvant. Pour une raison particulièrement : le charisme et la justesse de son acteur principal. Javier Bardem est une masse impressionnante, séduisante, magnifique qui a déjà accompli des prestations assez marquantes comme dans Mar Adentro d'Alejandro Amenabar, No Country for Old Men des frères Coen pour lequel il a eu un oscar ou encore Collateral où il était captivant alors qu'il n'avait qu'une seule séquence.  

            Là où Inarritu pourra céder à une certaine forme de lourdeur dans quelques séquences, notamment lors des scènes en rapport au sort des immigrés clandestins cachés par les deux chinois, Javier Bardem sauve constamment le film de ce danger en refusant de céder à la facilité et en favorisant continuellement la sobriété qui le caractérise. Là où certaines scènes auraient pu, par leur gravité, être insupportables, Bardem arrive à les rendre constamment belles et terriblement émouvantes. C'est par son jeu et son regard que le spectateur s'attache à ce personnage, malgré tout ses défauts et les horreurs qui l'entourent et qu'il vit. Pour le coup, on assiste à un de ces cas assez rares où c'est le casting très judicieux qui permet la réussite du film. Non pas qu'Inarritu soit un mauvais metteur en scène. Son film regorge d'ailleurs de séquences brillantes, notamment dans la seconde moitié du long-métrage : celle du « night-club » qui débute par un beau plan-séquence et qui confirme après The Social Network de Fincher que ce type de lieu inspire beaucoup les cinéastes ; celle où le héros observe un vol d'oiseaux ; une poursuite haletante entre des immigrés et des policiers ; les dix dernières minutes, véritable apogée émotionnelle vers lequel le long-métrage d'Inarritu tendait depuis le début.    

            Mais sans Javier Bardem, Biutiful ne serait qu'un film correct avec quelques très belles fulgurances. Et même si Inarritu aurait dû resserrer encore davantage son récit, ce qui aurait été bénéfique pour lui du point de vue de sa trop longue durée, Biutiful nous propose surtout le très beau parcours spirituel d'un homme. Un parcours presque messianique puisque le héros a une forme de don qui lui permet de voir les esprits et les âmes en peine (touche de fantastique qui peut sembler superflu mais qui donne un charme et une certaine identité au film), qu'il devient peu à peu un « martyr » au fur et à mesure qu'il est rongé par sa maladie et qu'il tente de sauver et de protéger ceux qui l'entourent et qui ont été blessé par lui. Biutiful est l'histoire évidemment universelle et touchante d'un homme qui doit affronter sa propre mort, clairement la plus grande peur qui nous habite. Un homme qui se remet donc en question et qui cherche sa place au sein de sa famille (rapports conflictuels avec une femme autodestructrice qu'il aime mais qui n'arrive pas à se contrôler ; la peur d'assumer son rôle de père surtout lorsque son enfance a été marqué par l'absence de modèle paternel ;...). De nombreuses thématiques qui font forcément écho et qui nous touche d'une façon ou d'une autre. 

            Biutiful est donc un film poignant sur la volonté d'un homme à accepter son destin et à aider ceux des autres avant qu'il ne quitte ce monde. Un film qui montre de façon juste la crainte de tout homme de ne rien laisser dans ce monde après sa mort. Un film avec de nombreuses péripéties sombres, glauques, déprimantes et qui livre une vision inédite de Barcelone, bien différente de celle, assez clichée, du très fade Vicky Cristina Barcelona dans lequel on retrouvait Bardem. Mais malgré cela, Biutiful se révèle être en fin de compte un très beau film optimiste sur la beauté de la vie, des choses simples et sur l'importance de l'amour pour chaque être humain. 

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Javier Bardem. ARP SélectionJavier Bardem. ARP Sélection

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27 octobre 2010 3 27 /10 /octobre /2010 18:26

                                                   

 - Film américain sorti le 13 octobre 2010

 - Réalisé par David Fincher

 - Avec Jesse Eisenberg, Justin Timberlake, Andrew Garfield,…

 - Drame

            Une soirée bien arrosée d'octobre 2003, Mark Zuckerberg, un étudiant qui vient de se faire plaquer par sa petite amie, pirate le système informatique de l'Université de Harvard pour crée un site, une base de données de toutes les filles du campus. Il affiche côte à côte deux photo et demande à l'utilisateur de voter pour la plus canon. Il baptise le site « Facemash ». Le succès est instantané : l'information se diffuse à la vitesse de l'éclair et le site devient viral, détruisant tout le système de Harvard et générant une controverse sur le campus à cause de sa misogynie. Mark est accusé d'avoir violé intentionnellement la sécurité, les droits de reproduction et le respect de la vie privée. C'est pourtant à ce moment qu'est né ce qui deviendra « Facebook ». Peu après, Mark crée « thefacebook.com », qui se répand comme une trainée de poudre d'un écran à l'autre d'abord à Harvard, puis s'ouvre aux principales universités des Etats-Unis, de l'Ivy League à Silicon Valley, avant de gagner le monde entier. Cette invention révolutionnaire engendre des conflits passionnés. Quels ont été les faits exacts ? Qui peut réellement revendiquer la paternité du réseau social planétaire ? Ce qui s'est imposé comme l'une des idées phare du XXIème siècle va faire exploser l'amitié de ses pionniers et déclencher des affrontements aux enjeux colossaux...

Jesse Eisenberg. Sony Pictures Releasing FranceAndrew Garfield, Jesse Eisenberg et Joseph Mazzello. Sony Pictures Releasing France

            L'annonce d'un film sur le réseau communautaire « Facebook », il y a à peu près un an, n'avait déjà en soit rien de très séduisant. Le fait que le talentueux David Fincher se compromette dans un tel projet en était même frustrant. Et quand on a annoncé que Justin Timberlake jouerait un des rôles principaux du film, on a commencé à flairer le navet complet. Mal nous en à pris quand peu à peu le buzz s'est fait autour du projet : scénario que l'on murmurait excellent, critiques dithyrambiques, colère du vrai créateur de « Facebook » vis-à-vis de son traitement cinématographique, bandes annonces intrigantes et accrocheuses,... Et là, c'est la claque. Une claque venue de nulle part tant on n'espérait rien d'un projet à priori saugrenu. Et c'est pour ça qu'on aime le cinéma, car un film dont on n'attendait rien et qui avait tout pour être un échec ou un long-métrage opportuniste peut soudain se révéler comme étant LE film de l'année ainsi qu'un portait incroyablement juste et lucide sur la génération contemporaine.

             The Social Network est un film difficile à aborder de par sa très grande richesse à la fois thématique et esthétique. C'est certes en premier lieu un film sur la création d'un site, qu'on le veuille ou non, révolutionnaire en de nombreux point. Révolution au niveau de la communication, car jamais les hommes n'auront semblé aussi proche et n'auront pu se parler de manière aussi rapide. Révolution aussi dans la perception de la vie privée, qui s'est soudain trouvée confondue avec la vie publique. Avec tout ce que cela comporte de dérives. Et comme tout grand film ayant pour sujet une révolution, The Social Network retrace la fin d'un monde et l'avènement d'un nouveau (quoiqu'ils restent en fin de compte assez semblables, mais nous y reviendrons). The Social Network c'est d'abord la confrontation entre deux milieux qui se veulent antagonistes. Le premier est le vieux monde de la bourgeoisie, avec ses valeurs dépassées et son côté « ultra-select » qui l'amène à être considéré comme le milieu de l'élite sociale. C'est un monde daté mais qui demeure séduisant. Le second est symbolisé par la figure du « nerd » qu'est Zuckerberg. Il représente tout ce qui ne fait pas parti de cette bourgeoisie : l'individu lambda, en quelques sortes, qui rêve d'entrer dans le premier milieu pour s'accomplir socialement. 

            Mark Zuckerberg désire intégrer un de ces clubs très sélect, appelés « final clubs », afin de faire parti de ce monde interdit. Il le dit dès la première scène et se montre méprisant au sujet de la position sociale « inférieure » de sa petite amie. Scène d'introduction décisive, parfaitement menée et écrite, qui nous montre quels vont être les deux moteurs qui amène Zuckerberg à créer « The Facebook ». Le premier élément décisif est évidemment une femme. Une rupture assez brutale en grande partie provoquée par « l'autisme » de Zuckerberg ; le mot est fort mais à un certain moment on a l'impression d'assister à un dialogue de sourds. Une première séquence qui nous montre parfaitement un jeune homme en marge qui rêve de s'intégrer mais par ses propres moyens. C'est ce second moteur qui entraine la création du site internet : l'ambition sociale. Zuckerberg est victime de son orgueil, de son « hybris ». Dès les dix premières minutes on a compris que ce à quoi on allait assister n'est sûrement pas une publicité inutile pour « Facebook ». The Social Network est une « tragédie grecque moderne » : l'histoire d'un jeune homme dominé par l'orgueil et son égo démesuré et qui veut atteindre le plus haut « sanctuaire » de la société à tout prix alors que celui-ci lui est normalement interdit.  

            En somme, le film de Fincher semble adopter le schéma classique du « rise and fall » typique de bon nombre de « success story » adapté au cinéma. On y retrouve un monde ancien décadent, dont les règles et les valeurs semblent à la limite du ridicule et qui fonctionnent de moins en moins (l'incapacité des jumeaux Winklevoss à arrêter Mark Zuckerberg, qu'ils accusent d'avoir volé leur idée pour créer « Facebook »). Un monde décadent car il ne pense qu'à faire la fête, enfermé dans des salles inaccessible au commun des mortels et donc à Zuckerberg, condamné à n'y rester qu'au seuil. Cet univers bourgeois et privilégié va être dynamité par ce jeune arriviste qui n'a qu'un but : accéder à cet Olympe qui lui est inaccessible. Par un moyen détourné. En faisant appel à ses propres aptitudes qui l'excluaient pourtant des autres : son talent dans l'informatique et sa capacité à savoir très vite s'adapter aux changements de plus en plus rapides de son époque. En s'inspirant de l'ancien il va faire du neuf : les étudiants huppés ont leur « final clubs », Zuckerberg va crée le sien dont il sera le chef. A une différence près : ce club sera ouvert à tous. D'abord limité aux étudiants de l'Université de Harvard, et dans un but assez misogyne, mais il va peu à peu s'étendre à la population américaine puis au monde. Voilà comment l'ordre mondial se retrouve bouleversé par un seul homme, qui a eu une idée de génie et qui a su exploiter ce pilier du XXIème siècle que sera l'Internet. Même si on pourra noter que cette nouvelle « société » n'est qu'un « final club » étendu au plus grand nombre ; et donc que ce nouveau monde n'est qu'une version améliorée, moderne de l'ancien. 

            Certes The Social Network est sans aucun doute un film générationnel, tout comme Fight Club du même Fincher avec lequel il entretien un certain nombre de points communs (humour, cynisme, portrait de marginaux, déliquescence d'une société,...). Si ce dernier représentait le mal-être d'une génération sacrifiée, qui n'avait aucune cause à défendre et qui n'avait rien d'autre à faire qu'à succomber au consumérisme le plus extrême pour pallier à ce vide, The Social Network montre la première génération de l'Histoire à grandir avec cette possibilité de communication immédiate tout en confondant dangereusement « vie privée » et « vie publique ». The Social Network est aussi l'un des rares longs-métrages sur l'Internet qui a l'intelligence de ne pas prendre parti : il montre les dérives de telles pratiques, comme la violation de la « vie privée » en la rendant visible à tous et sous copyright, mais n'hésite pas non plus à dévoiler les potentialités gigantesques et encourageantes de ces avancées. Mais si The Social Network est clairement un chef d'oeuvre, c'est parce qu'il est avant tout un portrait terriblement juste et émouvant d'un jeune homme. Fincher et le scénariste Aaron Sorkin ne se sont pas contentés de retracer les étapes de la conception du réseau « Facebook », ce qui n'aurait pas rendu leur film « intemporel » une fois que l'effet de mode de ce réseau serait dépassé. Ce qui fait que le film de Fincher marquera autant les spectateurs dans vingt - trente ans, et probablement plus, c'est avant tout parce c'est une « success story » atypique en de nombreux détails. 

            Le personnage de Zuckerberg se distingue par sa jeunesse : c'est le plus jeune milliardaire de l'histoire à l'âge de 23 ans. Signe évident d'un changement d'époque et de mentalité. The Social Network est aussi la première « success story » à prendre comme personnage principal un « nerd » et un obsédé de l'informatique. Cependant il retrouve certains points communs avec la figure classique du « self made man » tel que Charles Forster Kane dans le chef d'oeuvre d'Orson Wells, Citizen Kane, ou le Tony Montana du Scarface de Brian de Palma. Figures séduisantes, qui impressionnent et fascinent par leurs ambitions, leur génie et leurs entreprises, mais qui possèdent dans leur personnalité une part ténébreuse, comme une contrepartie à leurs « avant-gardes ». Zuckerberg est un asocial. C'est là toute l'ironie de ce paradoxe. C'est un asocial, qui n'arrive pas à établir de rapport normaux avec les autres, qui va être le créateur du plus grand réseau social de tous les temps. Pire, c'est au cours de la création de « Facebook » qu'il va perdre et détruire inconsciemment le peu de relations qu'il entretenait. La première victime est sa petite amie, Erica, interprété par Rooney Mara, la future Lisbeth du remake par Fincher de la trilogie « Millenium ». Ce sera ensuite Narendra et les jumeaux Winklevoss, étudiants bourgeois qui, pour concrétiser une bonne idée, vont tenter d'utiliser le jeune nerd avant que celui-ci ne leur damne le pion en ayant l'audace de la pousser bien plus loin (jusqu'à la scène hallucinante de la course d'aviron à laquelle participe les deux frangins et qui est l'annonciation de leur défaite imminante). 

            Mais la victime principale de cette aventure reste son seul véritable ami, Eduardo Saverin, incarné brillamment par Andrew Garfield qui était pourtant insupportable dans le dernier film de Gilliam. Son principal apport à « Facebook » est d'avoir donné à Zuckerberg l'équation initiale. Mais en tant que partenaire et co-créateur du réseau social, il va très vite se faire dépasser par son ami (c'est le point commun des « victimes », leur incapacité à suivre Zuckerberg qui sait s'adapter très rapidement dans un monde basé sur l'immédiateté). Le co-créateur de « Facebook »  n'est par exemple pas capable de changer des données sur son profil, ce que tout utilisateur lambda arrive pourtant à faire. Eduardo n'utilise que des méthodes du passé, c'est pour cette raison qu'il est blessé et laissé pour compte par l'attitude de Zuckerberg (la dispute définitive entre les deux anciens amis est particulièrement prenante et réussie). Ce dernier ne semble d'ailleurs pas lui faire intentionnellement du mal, c'est même pour cette raison que le personnage demeure attachant. Il n'est pas un « sale con », mais il fait tout pour l'être comme le dit si justement un personnage vers la fin du long-métrage. Il faut donc s'intéresser au dernier personnage majeur du film de Fincher. Celui qui entrainera Zuckerberg dans les plus hautes cimes mais avec comme prix à payer la solitude la plus complète : Sean Parker. 

            C'est le personnage pivot du film et c'est avec son apparition que la relation Zuckerberg / Saverin va déraper pour se finir en procès et en règlement de compte. Le voir incarné par Justin Timberlake n'était pas rassurant mais force est de constater qu'il s'en tire magnifiquement bien. Sean Parker est en quelques sortes le pendant obscur de Zuckerberg. Le modèle vers lequel il tend et auquel il essaye de ressembler, en plus de lui vouer une admiration gigantesque. Paranoïaque, arrogant, sûr de son génie, séduisant, Parker va entrainer Zuckerberg dans son ascension gigantesque. On assiste alors à un « ménage à trois » où Eduardo sera doucement mis à l'écart au fur et à mesure que la relation Zuckerberg / Parker s'intensifie. A ce titre, la scène du « night club », sans aucun doute la meilleure du film, est assez révélatrice de ce rapport. C'est un tournant pour le personnage principal : le moment où il comprend qu'il peut « dominer » et changer le monde tout en ayant auparavant démoli les règles établies qui l'empêchaient d'y accéder. Zuckerberg et Parker ont littéralement changé la société. Ce dernier le dit lors de cette scène : peu importe les procès et la condamnation (une des grandes particularités de The Social Network, c'est d'être un film de procès qui ne s'intéresse pas aux verdicts) car leurs avancées se sont imposées si aisément dans la pensée des gens qu'il est impossible de faire comme si elles n'existaient pas. Le logiciel de téléchargement de musique gratuit Napster aura beau être condamné et retiré, les producteurs de musique doivent cependant se soumettre à ce que cette « idée » a changé dans la mentalité des consommateurs.

            Avec de simples phrases, écrites avec une très grande précision par Sorkin, ou de simples plans, le spectateur comprend intuitivement toutes les modifications que ces jeunes gens sont en train d'imposer et ce qu'elles sous-entendent. C'est en fait là que réside la plus grande force de The Social Network : il dispose certes de l'un des meilleurs scripts américain de ces dernières années mais de bons dialogues et une bonne histoire ne suffisent pas à faire un bon film, le cinéma étant avant tout l'art du mouvement et de l'image. Le film fonctionne parfaitement grâce à la mise en scène de Fincher qui permet d'illustrer par l'image, la lumière et les mouvements de caméras, les émotions et les thématiques abordées par le scénario. Au premier abord on peut penser à tort que Fincher s'est effacé derrière son sujet en se contentant du poste d'illustrateur. Et pourtant sa mise en scène est loin d'être classique, statique. Chaque détail est pensé dans le but de rendre évident le script et sa richesse. Et ce, par la seule force d'un montage percutant (tout en flashbacks, mais plus réussis que dans son précédent film, L'Etrange histoire de...) ; d'une photographie très sombre ; d'un énorme travail sur les décors (élément important chez Fincher car il constitue un personnage à part entière) pour souligner les séparations entre les classes et le refus de Zuckerberg d'accepter le monde réel en se tournant continuellement vers des vitres ou des écrans ; d'effets spéciaux omniprésents mais très discrets qui servent la mise en scène ; et d'une bande son absolument magnifique signée Trent Reznor.  

            Il y a encore beaucoup de choses à dire et à développer sur The Social Network, classique instantanée et génial mélange des genres. Entre « biopic », film de procès, « success story » à l'américaine, tragédie moderne, « teen movie », comédie noire et thriller, le dernier film de Fincher s'empare d'un sujet pas forcément très excitant cinématographiquement parlant mais potentiellement très riche d'un point de vue sociologique et fait parti des rares long-métrages qui, non seulement, ne passent pas à côté de leur sujet mais qui en plus l'exploitent complètement, parfaitement. Le scénario est excellent, la mise en scène d'une efficacité redoutable, le jeu des acteurs est admirable et plein de promesses pour l'avenir de ces derniers,... Et le tout se conclut sur une fin incroyable et originale, dont la signification et l'ampleur du dernier plan n'est pas loin de surpasser celui du récent Inception de Nolan. Une immense claque à ne surtout pas manquer sous peine de passer à côté de ce qui sera vraisemblablement le film majeur de ces derniers mois.

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Justin Timberlake. Sony Pictures Releasing FranceJesse Eisenberg. Sony Pictures Releasing France

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24 octobre 2010 7 24 /10 /octobre /2010 14:11

                                                     Warner Bros. France

 - Film américano-britannique sorti le 06 octobre 2010

 - Réalisé par Woody Allen

 - Avec Naomi Watts, Antonio Banderas, Josh Brolin,…

 - Comédie, Drame

            Tout commence une nuit, lorsqu'Alfie se réveille, paniqué à l'idée qu'il ne lui reste plus que quelques précieuses années à vivre. Cédant à l'appel du démon de midi, il met abruptement fin à quarante années de mariage en abandonnant sa femme Helena. Après une tentative de suicide et une analyse vite arrêtée, celle-ci trouve un réconfort inattendu auprès d'une voyante, Cristal, qui lui prédit une histoire d'amour avec un « grand inconnu tout de noir vêtu »...

Naomi Watts et Josh Brolin. Warner Bros. FranceAnthony Hopkins et Naomi Watts. Warner Bros. France

            C'est devenu une tradition, au même titre que les films de Clint Eastwood ces derniers temps : tous les ans, Woody Allen revient sur les grands écrans avec un nouveau long-métrage. A une telle cadence, et sachant qu'il écrit ses propres scénarios, le risque est que ses films soit souvent de qualités très variables. Si l'on a eu de bonnes surprises avec Match Point ou Whatever Works, on a aussi reçu de bonnes douches froides comme Vicky Cristina Barcelona malgré le casting et le cadre pourtant assez torride. Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (titre ronflant au possible) est malheureusement de ceux-là.

            Et pourtant le casting était des plus alléchants avec la réunion dans un même long-métrage de grands noms comme Naomi Watts, Anthony Hopkins, Antonio Banderas, Josh Brolin ou encore Freida Pinto (dont l'avenir s'annonce des plus prometteurs). En temps normal, avec une telle convergence de talents, il est impossible de rater son film. A moins d'avoir un gros poil dans la main. C'était le cas de Nine, la comédie musicale pompière calibrée pour les oscars de Rob Marshall, qui avait trouvé judicieux de ne s'appuyer que sur son casting de grosses pointures glamours pour attirer les spectateurs au détriment de l'histoire et des personnages. Vous aller rencontrer... fait à priori la même erreur : réunir un casting glamour mais en leur donnant des personnages caricaturaux et en les plongeant dans une histoire que Woody Allen a déjà traité à l'identique de nombreuses fois auparavant. 

            Le niveau des interprétations des différents acteurs est déjà assez fluctuant. Si Naomi Watts est très à l'aise, ainsi que Josh Brolin qui a l'avantage de disposer du personnage le plus complexe et le mieux écrit du film, le « couple comique » Gemma Jones et Anthony Hopkins abuse de ficelles humoristiques bien trop répétitives, même si le second prend un plaisir évident et parfois jubilatoire à se moquer de sa propre image. Par contre on ne peut que regretter le fait qu'Antonio Banderas soit complètement transparent, son personnage ne l'aidant pas tant il est quelconque, ainsi que le retrait de Freida Pinto dans un rôle très secondaire. Tout deux sous-employés par un Woody Allen qui ne leur réserve que le rôle ingrat de « fantasmes extraconjugaux » d'un couple au bord de la rupture. Et Lucy Punch vient compléter la distribution dans le rôle de la blonde un peu cruche qu'Evan Rachel Wood tenait déjà dans Whatever Works.

            Rien de bien nouveau donc et c'est bien le problème du dernier film d'Allen. Les mêmes thèmes reviennent (l'approche de la mort, l'absurdité de la vie, la remise en question artistique, le retour vers la jeunesse comme fausse solution à la vieillesse et l’inéluctabilité de la mort,...). Woody Allen ressasse ses thématiques et obsessions, ce qui est la marque des maîtres, mais sans jamais y apporter quelque chose de nouveau. Et là c'est plus embêtant puisque Vous allez rencontrer... passe pour une pâle copie d'autres oeuvres d'Allen. Comme si, à l'instar de l'écrivain peu inspiré incarné par Brolin, Woody Allen se sentait obligé de livrer le plus rapidement possible une nouvelle oeuvre et ce, même si l'inspiration n'y est pas. Alors, comme lui, il décide de copier littéralement l'oeuvre d'un autre, et ici ce sont en fait les siennes. 

            Dans Vous aller rencontrer... Woody Allen brille plus en fin dialoguiste, ce qu'il a presque toujours été même dans ses plus mauvais long-métrages, qu'en metteur en scène audacieux. La réalisation pâtit d'un manque de dynamisme, est très souvent statique et avec très peu de fulgurances ; on notera cependant quelques plans séquences mais ils amènent le film à ressembler à certains moments à du théâtre filmé, ce qui est l'une des pires choses lorsque l'on fait du cinéma. Et il faut vraiment le vouloir pour qu'un homme tel que Vilmos Zsigmond, qui a notamment été le directeur de la photographie de Rencontre du 3ème type, Voyage au bout de l'enfer, La Porte du Paradis, Blow Out ou encore Le Dahlia Noir, se contente de livrer une image aussi quelconque et peu inspirée.  

            Cependant quelques éléments se dégagent de ce film et le sauve in extremis du ratage intégral. Car si, étonnamment, l'humour du film n'est vraiment pas efficace (les récents Scoop et Whatever Works étaient bien plus drôles), Vous allez rencontrer... est teinté d'un fort pessimisme. Et particulièrement lors des vingt dernières minutes où Woody Allen déjoue nos attentes en voulant éviter le « happy end » pour la plupart des personnages, et particulièrement pour le duo Watts / Brolin. Et même si le dénouement peut agacer le spectateur, car survenant à un moment inattendu et ne donnant pas de réponse sur l'avenir désormais incertain de ces personnages, il nous vient alors une curieuse impression : Vous aller rencontrer... semble vouloir être plus sombre que son histoire assez futile ne le laissait présager. Mais le mal est déjà fait, il aura fallu attendre une heure vingt de scénettes déjà vues pour arriver à une conclusion pessimiste sur les aléas et l'immoralité du destin, rappelant ainsi la brillante conclusion de son Match Point. On peut alors le rapprocher au dernier film des frères Coen, A Serious Man, qui, même s'il lui était bien meilleur, traite aussi de la futilité de nos actes et de nos vie par rapport à des concept tel que le destin ou la (mal)chance. 

            Belle déception cependant pour le film annuel de Woody Allen. Mais quoi d'étonnant de la part d'un film qui débute et se finit sur cette citation de Shakespeare : « La vie est une fable pleine de rage et de fureur, racontée par un idiot et qui ne signifie rien ». On ne saurait malheureusement mieux dire de ce film qui veut traiter de la futilité de nos actions mais qui se révèle d'une futilité impressionnante tant son unique argument demeure son casting alléchant. Et pendant ce temps, Allen tourne son Minuit à Paris où on retrouvera Marion Cotillard, Owen Wilson, Rachel McAdams, Kathy Bates, Michael Sheen, Léa Seydoux, Gad Elmaleh, Adrien Brody et l'argument marketing imparable qui assurera le succès de son film : la première dame de France, Carla Bruni. Rien que ça. Espérons que celui-là ne se vendra pas uniquement pour son casting glamour mais c'est hautement improbable.

* * * * *          

Josh Brolin et Naomi Watts. Warner Bros. FranceFreida Pinto et Josh Brolin. Warner Bros. France

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13 octobre 2010 3 13 /10 /octobre /2010 23:43

                                                      

 - Film américain sorti le 06 octobre 2010

 - Réalisé par Gregg Araki

 - Avec Thomas Dekker, Juno Temple, Roxane Mesquida,…

 - Comédie

            Smith mène une vie tranquille sur le campus - il traine avec sa meilleure amie, l'insolente Stella, couche avec la belle London, tout en désirant Thor, son sublime colocataire, un surfeur un peu simplet - jusqu'à une nuit terrifiante où tout va basculer. Sous l'effet de « space cookies » ingérés à une fête, Smith est persuadé d'avoir assisté à l'horrible meurtre de la Fille Rousse énigmatique qui hante ses rêves. En cherchant la vérité, il s'enfonce dans un mystère de plus en plus profond qui changera non seulement sa vie à jamais, mais aussi le sort de l'humanité...

Thomas Dekker. Why Not ProductionsThomas Dekker, Haley Bennett et Roxane Mesquida. Why Not Productions

            S'il y avait eu une petite sensation à Cannes l'année dernière, c'était sans aucun doute la projection hors compétition du dernier film de Gregg Araki, Kaboom. Et les quelques images disponibles sur la toile nous laissaient effectivement présager un film fun, déjanté, avec une insolence et un humour mordant sur la sexualité des adolescents. Sauf qu'en réalité, Kaboom n'est rien de moins qu'une gigantesque arnaque. 

            Alors oui les vingt premières minutes sont assez dynamiques par leur rythme, les dialogues assez bien écrits, les gags souvent drôles,... Le premier problème c'est que tous ces moments sont visibles dans les quelques teasers qui étaient sortis. Le second problème, c'est qu'après ces vingt premières minutes assez prometteuses, le film d'Araki finit par se dégonfler comme un ballon de baudruche. Car très rapidement, la mécanique du film tourne à vide. A force de vouloir mettre n'importe quels délires, l'histoire en devient complètement aberrante. On ne peut que décrocher face à cette intrigue en totale roue libre, qui donne l'impression qu'elle a été complètement improvisée lors de son écriture par un réalisateur qui n'avait pas la moindre idée où il allait aboutir. On assiste en plus à un pompage intégral des oeuvres de Lynch (ça fait toujours chic et ça permet de se faire bien voir par les hautes instances de la critique) avec l'arrivée par exemple d'une sorcière accro au saphisme ou de membres d'une secte farfelue où l'on porte des masques d'animaux. 

            Entre ces éléments pseudo-horrifiques qui peinent à faire naître un quelconque suspense et alors qu'on a déjà refusé de suivre l'histoire depuis un bon quart d'heure, on assiste à des extraits pas toujours très liés d'une fausse « sitcom » subversive sur la sexualité des jeunes. Car à part un langage un peu cru, rien qui n'ait cependant pas déjà été dit de nombreuses fois dans d'autres films, Kaboom se révèle d'une pudibonderie assez hallucinante par rapport à son ambition. Quelques paires de fesses et de seins mais à part ça, la plupart des scènes de sexe sont filmés en gros plan, histoire de pas trop en montrer, voire parfois carrément éludés. Et ce, même si Araki s'acharne à nous lister toutes les possibilités : hétérosexualité, homosexualité masculine et féminine, masturbation, trio,... Tout ça pour pas grand-chose en fin de compte puisqu'on aboutit à un résultat d'une belle consensualité qui peine à masquer, par son sujet « osé » et son côté « pop foufou », le fait que le film ne raconte rien, ne véhicule rien, ne questionne rien et qu'il est en fin de compte d’une inutilité consternante. 

            Donc malgré les vingt premières minutes où Araki fait illusion, et où il faut reconnaître qu'on est un temps séduit par des dialogues assez humoristiques, le film se transforme en un « gloubi-boulga » indigeste. Les acteurs peinent à faire croire à leur personnages caricaturaux qui se limite à quelques particularités censées définir toutes leur personnalité. Notons toutefois que Thomas Dekker, qui interprète le héros, fait exception à la règle et s'en tire sans trop de dommage. Mais ce ne sont pas les acteurs qu'il faut le plus blâmer. Car si Kaboom n'est déjà pas du tout intéressant par sa trame scénaristique, Araki ne fait rien pour la dépasser. La mise en scène n'est absolument pas inspirée et se contente souvent de faire apparaître plein de couleurs, encore une fois pour faire « pop » et cool. Et dans un film qui veut distiller une ambiance « sous acide », Araki se limite à des effets de flou pour faire partager au spectateur l'effet des « trips » des différents protagonistes ; on est donc très loin de l'inventivité et de l'audace esthétique d'un long-métrage comme le récent Enter the Void de Gaspar Noé.  

            Mais outre le fait que le film fasse une très vague critique des « sitcoms », en adoptant l'esthétique policée des publicités afin de vaguement montrer leur vacuité et leur aspect fallacieux, la grande erreur de Kaboom est qu'il essaye de donner une raison au capharnaüm intégral qu'il montre. Si encore Araki avait fait passer son film pour un « bad trip », qui aurait symbolisé le malaise des jeunes et le déchainement des sentiments et sensations qu'ils éprouvent, mais les dix dernières minutes sont assez accablantes. Le réalisateur essaye de donner une « cohérence » à tous les éléments, y compris les plus fantastiques comme la sorcière libidineuse. Le tout à coups de twist aberrants et de « secte secrète voulant dominer le monde ». L'effet est aussi désastreux que si Lynch avait, dans une séquence finale, un sens aux évènements de Mulholland Drive. Le tout est expédié en une dizaine de minutes sans que le réalisateur et surtout les spectateurs n'arrivent à y croire. Deux possibilités : soit Araki n'a pas confiance dans son histoire déjà assez risible à la base pour qu'il l'affuble d'une conclusion aussi lamentable et bâclée ; soit il se fiche carrément de nous, pauvres spectateurs, qui venons de payer sept euros pour voir son « oeuvre d'art » incohérente, puérile, nombriliste et mal faite mais qui doit être d'une profondeur telle que nous ne pouvons que nous incliner devant son génie, et ce, même si on n'y voit que du vide (décrétée par une presse qui a dû tout comprendre à ce bazar et y voir quelque chose de visionnaire). 

            Grosse déception donc pour ce film de Gregg Araki, qui s'annonçait pourtant assez prometteur. Mais l'efficacité, le dynamisme, l'humour et la subversion attendue ne sont pas au rendez-vous et sont malheureusement remplacés par une prétention assez insupportable, une réflexion quasi-absente que ce soit du sujet ou de la forme du film et un manque évident de travail au niveau du scénario. Un pétard mouillé qui, en plus de se regarder le nombril constamment, brasse plein de truc sans en approfondir un seul et aboutit inévitablement... à rien.

* * * * *   

Juno Temple, Thomas Dekker et Haley Bennett. Why Not ProductionsChris Zylka. Why Not Productions

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11 octobre 2010 1 11 /10 /octobre /2010 23:37

                                                    

 - Film américain sorti le 06 octobre 2010

 - Réalisé par Matt Reeves

 - Avec Kodi Smit-McPhee, Chloe Moretz, Richard Jenkins,…

 - Epouvante-horreur

            Abby, une mystérieuse fille de 12 ans, vient d'emménager dans l'appartement à côté de celui où vit Owen. Lui est marginal, il vit seul avec sa mère, et est constamment martyrisé par les garçons de sa classe. Dans son isolement, il s'attache à sa nouvelle voisine qu'il trouve si différente des autres personnes qu'il connait. Alors que l'arrivée d'Abby dans le quartier coïncide avec une série de meurtres inexplicables et de disparitions mystérieuses, Owen comprend que l'innocente jeune fille est un vampire. 

Chloe Moretz. Metropolitan FilmExportChloe Moretz et Kodi Smit-McPhee. Metropolitan FilmExport

            L'année dernière était sorti Morse, un petit film de vampires suédois comme toujours extrêmement bien distribué dans notre beau pays (ça s'appelle l'exception culturelle française). Malgré son succès public assez relatif, les personnes ayant eu la chance de ne pas passer à côté et qui avait l'opportunité d'avoir une salle le diffusant près de chez eux n'avaient qu'un seul mot à la bouche : une claque. L'annonce d'un remake américain quelques mois après avait fait grincer à juste titre les dents de nombreux cinéphiles, le film étant de toute façon aussi bien distribué là-bas qu'en France. N'ayant pas (encore) vu le film de Thomas Alfredson, il m'est cependant difficile de comparer les deux.  

            Néanmoins prenons simplement le film, qui n'est vraiment pas dénué de qualités. D'abord la transposition de l'histoire vers l''Amérique des années 80 est un parti pris des plus intéressants, et ce à plus d'un titre. D'abord cela permet au film de Matt Reeves de se démarquer légèrement du roman et du film qui le précède. Cela donne aussi une note autobiographique voulue, le réalisateur ayant grandi à la même période que les deux protagonistes et revendiquant la ressemblance qu'il avait avec le personnage du jeune garçon. Mais cela permet surtout de changer complètement le contexte en replaçant l'intrigue sous l'ère Reagan et sa « lutte entre le bien et le mal », dont on voit d'ailleurs un discours dans les cinq premières minutes. Certes les deux notions sont probablement plus distinctes que dans les versions suédoises, on est quand même dans un film qui se veut plus grand public (quoique...), mais elle permet de questionner les idéaux d'une Amérique dépressive et de l'omniprésence étouffante du religieux. 

            Il est de bon ton de considérer que faire un remake est une démarche purement opportuniste. En fait ces projets, et particulièrement Laisse-moi entrer, sont souvent des entreprises suicidaires. Le projet de Reeves aurait vu le jour près d'un an avant la sortie de Morse, alors qu'il était projeté dans quelques festivals. Il n'y avait donc aucune certitude pour que le film d'Alfredson marche au box-office et qu'il ait une bonne réception critique. Mais le problème vient surtout de la trop grande proximité temporelle des deux long-métrages qui donne l'impression que Laisse-moi entrer s'inscrit dans la longue liste des remakes qui ont pour but de remplacer le film original par une copie hollywoodienne à destination du grand public américain. Le lynchage à sa sortie était évident et inévitable, et pas sûr que ce soit la meilleure option pour Reeves qui venait de bénéficier du grand succès de Cloverfield, son premier film mélangeant documentaire et film de monstre géant. Reeves avait plutôt tout à y perdre et pourtant il s'est plongé intégralement dans le projet au point de travailler lui-même le scénario. Preuve s'il en est que le projet lui tenait à coeur et que l'histoire le touchait. 

            De plus, Laisse-moi entrer se démarque des récents films de vampire américains et refuse de céder aux standards que sont les Twilight et consort afin de garder une grande fidélité au matériau d'origine. Et d'ailleurs on peut noter le peu d'effets spéciaux numériques et la réalisation très sobre. Ce qui n'empêche pas Matt Reeves d'instaurer une excellente ambiance oppressante par le biais de nombreuses idées de mise en scène pertinentes et une photographie très sombre, avec une prédominance du noir, du blanc et de l'orange. Le film ne cède pas non plus à un autre aspect du syndrome Twilight : il refuse de traiter son sujet très sombre en faisant une concession sur la violence et le sang pour que le film soit vraiment grand public (le résultat est d'ailleurs sans appel puisque le film s'est complètement planté au box office américain). Mais si le film contient sa ration de moments sanglants, Reeves favorise d'avantage le suspense et l'imagination ; la nature d'Abby et son origine ne sont par exemple que rarement évoqués, faisant d'elle une sorte de « symbole ». 

            Mais le film fonctionne surtout par l'alchimie et le talent des deux jeunes acteurs principaux. Car si la présence de Richard Jenkins et d'Elias Koteas est assez inattendu dans un tel projet et un gage de qualité et d'audace pour le long-métrage de Reeves, Laisse-moi entrer permet surtout à deux des jeunes acteurs les plus prometteurs du moment de montrer l'étendue et la subtilité de leurs jeux. Le premier est Kodi Smit-McPhee qui interprète Owen, le jeune garçon martyrisé ivre de vengeance mais incapable de passer à l'acte et de s'abandonner au mal. Si l'acteur est des plus prometteurs c'est notamment par sa participation sidérante au côté de Viggo Mortensen dans La Route de John Hillcoat. Là encore il refuse de céder aux nombreux clichés qui se retrouvent dans de trop nombreux portraits d'enfants, souvent faits par des adultes qui ont oublié qu'ils avaient été un jour jeunes. Il ne cède jamais à la mièvrerie et arrive à insuffler une grande noirceur à son personnage. Il est entre autres absolument terrifiant lorsqu'il se lance dans une imitation d'un « serial killer » afin de déverser toute la haine qu'il a en lui. Il arrive parfaitement à doser ce mélange délicat entre une fragilité, une naïveté évidente et un côté plus ambigu et angoissant. La seconde n'est autre que Chloe « Hit Girl » Moretz, déjà époustouflante dans le film de Vaughn. Elle refuse encore une fois les rôles faciles de gentille petite fille. De manière assez subtile, elle arrive à insuffler à son personnage un aspect mystérieux et à rendre perceptible une douleur intérieure assez forte dû à sa malédiction.  

            Les personnages étant complémentaires et chacun ayant des parts d'ombre refoulées du mieux qu'ils le peuvent, la réussite de Laisse-moi entrer tient donc avant toute chose à la réussite et la crédibilité du duo principal. Cela vient notamment du jeu analogue des deux acteurs principaux et d'une complicité bien perceptible à l'écran. Car plus qu'un film d'horreur ou fantastique, Laisse-moi entrer est bien entendu en premier lieu une histoire d'amour. Voyeurisme, éveil à la sexualité, séparation avec les parents (impersonnels dans le cas d'Owen puisqu'on ne voit jamais leur visage), rage contenue un temps avant son inévitable explosion,... Matt Reeves filme, par cette histoire de « premier amour », la « perversion » de l'enfance, dans le sens où l'enfant y perd justement la pureté qui le caractérise. Laisse-moi entrer est donc un film sur le passage à l'âge adulte. Cette initiation d'Owen, par sa première vraie relation avec une personne du sexe opposé autre que sa mère, ne doit se terminer que par l'expression de toutes ses pulsions violentes (de mort notamment) qu'il avait caché au fond de lui. Une explosion d'une grande violence qui ne se fera pourtant pas toute seule mais par l'aide libératrice de cet « autre ». Et en inversant le schéma habituel, faisant de la fille la protectrice du jeune garçon, Reeves filme à la fois un carnage terrifiant avec l'incroyable scène de la piscine et une sublime preuve d'amour et de complémentarité entre deux êtres. 

            Laisse-moi entrer n'est peut-être pas à la hauteur du film original mais il dispose de suffisamment d'atouts propres pour qu'il puisse exister par lui-même. Belle mise en scène, interprétations subtiles et touchantes, bande originale envoutante par un Giacchino en forme... Le film de Reeves est une belle histoire d'amour qui apporte du sang neuf au cinéma vampirique américain terni par la ridicule série Twilight. On pourra toujours contester la démarche, mais un remake réussi qui donne vraiment envie de découvrir le(s) oeuvre(s) dont il s'inspire est bien préférable à un remake raté qui dégoute le spectateur de toute tentative de découverte du matériau d'origine. Et c'est toujours ça de pris. 

* * * * *

Chloe Moretz et Kodi Smit-McPhee. Metropolitan FilmExportKodi Smit-McPhee. Metropolitan FilmExport

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7 octobre 2010 4 07 /10 /octobre /2010 16:23

                                                  

 - Film franco-algérien sorti le 22 septembre 2010

 - Réalisé par Rachid Bouchareb

 - Avec Jamel Debbouze, Roschdy Zem, Sami Bouajila,…

 - Historique

            Chassés de leur terre algérienne, trois frères et leur mère sont séparés. Messaoud s'engage en Indochine. A Paris, Abdelkader prend la tête du mouvement pour l'Indépendance de l'Algérie et Saïd fait fortune dans les bouges et les clubs de boxe de Pigalle. Leur destin, scellé autour de l'amour d'une mère, se mêlera inexorablement à celui d'une nation en lutte pour sa liberté...

Jamel Debbouze, Sami Bouajila et Roschdy Zem. StudioCanalSami Bouajila et Bernard Blancan. StudioCanal

            C'est en 2006 que Rachid Bouchareb réalise un grand coup d'éclat avec Indigènes, long-métrage qui retraçait l'histoire de quelques uns de ces soldats des colonies françaises envoyés au front pour défendre la « Mère Patrie » contre la menace nazie. Prix d'interprétation collectif au Festival de Cannes, critiques plutôt élogieuses, grand succès public et nomination à l'oscar du meilleur film étranger, Indigènes avait même réussi à amener une revalorisation de ces oubliés de l'Histoire. Comme quoi un film pouvait changer les choses d'une certaine façon et à un certain degré. Cependant le film avait de très nombreux défauts : poids écrasant de ses influences (Il faut sauver le soldat Ryan ou La Ligne Rouge étant d'un tout autre niveau), mise en scène paresseuse, scénario ultra-balisé et manichéen, personnages caricaturaux, message martelé constamment sans aucune finesse,... 

            L'ambition était certes remarquable mais le résultat est cependant assez décevant, en plus d'avoir été très surestimé à sa sortie. Quatre ans plus tard, il revient avec un projet étonnant. Une « suite » avec les mêmes acteurs, à l'exception de Samy Naceri, qui incarnent des personnages portant les mêmes noms que ceux qu'ils jouaient dans Indigènes et qui raconte ce qui a entrainé la Guerre d'Algérie. « Raconter » c'est un bien grand mot comme toujours dans un film historique. La preuve en est de la polémique ridicule qui a accompagné Hors-la-loi à sa projection cannoise et à sa sortie. Ridicule d'abord parce qu'elle est apparu avant que le film ne soit montré. Mais surtout parce qu'un film n'est et ne pourra jamais être considéré comme un témoignage d'Histoire (mais tant que l'amalgame sera fait...).  

            Et s'il y a bien une erreur à faire vis-à-vis du dernier film de Bouchareb c'est de croire qu'il a pour ambition d'être une très minutieuse reconstitution historique (complètement objective de surcroit). Car il est de toute façon inévitable que l'auteur oriente son film selon sa vision et son opinion, donc plus favorable ici à la communauté arabe, même si pourtant le film est bien loin d'être aussi manichéen qu'Indigènes l'était. Mais surtout, Hors-la-loi n'est pas tant une reconstitution historique « réaliste », comme La Bataille d'Alger de Pontecorvo, qu'un film de gangsters très orienté vers la trilogie du Parrain de Coppola et d'Il était une fois en Amérique de Sergio Leone. Certes le film est, comme Indigènes, complètement écrasé par ses influences bien trop grandes pour lui et le talent de Rachid Bouchareb, qui n'a vraiment pas l'étoffe d'un Leone en mauvaise forme, mais il faut au moins saluer l'ambition du projet.  

            D'abord il a l'audace de traiter d'un sujet « sensible » qui n'avait que rarement bénéficié d'un traitement cinématographique de la part d'un des deux pays concernés. D'ailleurs on ne peut que rigoler en voyant les polémiques diverses qui ont touché le film sur un sujet qui a quand même plus de cinquante ans alors que l'on se permet en France de se moquer de la soi-disante consensualité des productions américaines, et notamment hollywoodiennes. Rappelons que ces dernières n'hésitaient pas à aborder la Guerre du Vietnam juste quelques années après, quant elles ne critiquaient pas la seconde guerre en Irak alors qu'elle avait encore lieu. C'est en cela que, tout comme Indigènes, Hors-la-loi est un film « nécessaire ». D'abord pour ouvrir une forme de débat mais aussi entrainer d'autres productions qui, avec un point de vue et un parti pris différent, traiteront cette période d'une autre façon. 

            Visuellement le film est très beau, un grand travail ayant été fait sur la photographie qui rappelle celle des polars des années 70 (on en revient évidemment aux deux premiers opus de la trilogie de Coppola). Les acteurs sont eux aussi assez convaincants, Roschdy Zem en tête ainsi que Jamel Debbouze qui arrive à s'effacer pour ne pas laisser ses éternels mimiques reprendre le dessus. Sami Bouajila est très bon lui-aussi, bien que son personnage soit bien plus compliqué à aimer : c'est surtout lui qui montre les dérives du côté arabe de cette lutte (notamment l'aliénation et l'utilisation récurrente de la violence comme seul moyen), d'où une difficulté pour le spectateur à éprouver pour lui de l'empathie. Le personnage incarné par Bernard Blancan est par contre nettement plus caricatural et bien moins présent que les trois autres.  

            Mais c'est d'abord d'un point de vue de la mise en scène que le film n'est pas une complète réussite. Son manque de dynamisme et son académisme entraine quelques baisses de rythme assez dommageable, surtout lorsque le film dure près de deux heures vingt. Mais c'est surtout, et on en revient encore à là, l'incapacité de Rachid Bouchareb de se démarquer des films auxquels il s'est référé pour réaliser Hors-la-loi. Car à bien y réfléchir on a déjà « vu » bien des fois les scènes du film. Jusqu'à reprendre des séquences entières d'autres long-métrage. C'est le cas de deux d'entre elles qui se réfère au premier épisode du Parrain. La scène du meurtre dans le commissariat commis par deux des frères fait écho au meurtre de Sollozo par Michael Corleone (Al Pacino) entrainant par ce premier acte criminel sa lente descente aux enfers. La seconde scène est la dernière apparition du personnage d'Hélène, joué par Sabrina Seyvecou, qui rappelle énormément un des évènements marquants dans la vie de Michael Corleone.  

            Mais le scénario, malgré les nombreuses facilités et erreurs historiques, arrive à retranscrire les grandes tensions à l'époque. Et il a l'intelligence de privilégier la fiction au réalisme documentaire, qu'il n'aurait pu de toute façon atteindre. Il place d'avantage cette famille au premier plan, reléguant le contexte historique à l'arrière ou en le symbolisant par des interactions entre les frères. Le scénario souligne bien les dilemmes, les paradoxes et la violence qui prend possession de ces hommes (notamment lors d'une belle scène dans un restaurant entre Sami Bouajila et Bernard Blancan où ce dernier voit ses convictions remises en question). Si Hors-la-loi prend clairement parti (trop peut-être), il s'intéresse avant tout au rapport entre les hommes et la violence ainsi qu'à la spirale sans fin qu'elle entraine. Alors que certaines scènes sont trop longues, bavardes et démonstratives, le film de Bouchareb n'exclue pas quelques séquences violentes et impressionnantes comme l'ouverture, très contestée, sur le massacre de Sétif ou une fusillade nocturne très immersive.  

            Hors-la-loi est donc plus réussi qu'Indigènes même s'il n'est pas exempt de défauts. Et si le long-métrage de Bouchareb n'est certainement pas le grand film sur la Guerre d'Algérie que l'on désespère d'attendre, son ambition demeure louable : retracer par l'histoire de trois frères celle d'un drapeau auparavant interdit et qui, par la résistance, est devenu celui de tout une nation.

* * * * *

Jamel Debbouze et Roschdy Zem. StudioCanalBernard Blancan. StudioCanal

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4 octobre 2010 1 04 /10 /octobre /2010 22:51

                                                    

 - Film français sorti le 15 septembre 2010

 - Réalisé par Claude Lelouch

 - Avec Audrey Dana, Laurent Couson, Raphaël,…

 - Comédie dramatique, Romance

            Le destin flamboyant d'une femme, Ilva, qui, sa vie durant, a placé ses amours au dessus de tout et se les remémore au rythme d'un orchestre symphonique. Dans cette fresque romanesque, Ilva incarne tous les courages et les contradictions d'une femme libre. Et si ce n'était pas Dieu qui avait crée la femme mais chaque homme qu'elle a aimé ?...

Audrey Dana. Rezo FilmsRezo Films

            Assez souvent vilipendé par la presse spécialisée, Claude Lelouch a toutefois régulièrement été soutenu par le public. Après une traversée du désert où il avait cumulé échecs critiques et publics à la fois, il était revenu en force avec Roman de gare en 2007 qui avait été très chaleureusement accueilli. Un film qui lui avait permis de « ressusciter » et de revenir sur le devant de la scène française. Trois ans plus tard il nous livre son film-testament. Un film qui est la somme de toute sa carrière et qu'il porte en lui depuis de très nombreuses années.   

            Le résultat est évidemment incontournable pour tout cinéphile qui se respecte, le film étant dans son ensemble une belle réussite. Certes avec ses petits défauts qui ne sont pas étrangers à Lelouch lui-même. Mais peu de films français ont aussi bien su dernièrement allier le spectacle grand public à un scénario travaillé et à une personnalité forte et perceptible du réalisateur. Grande fresque romanesque étalée sur près de soixante-dix ans, Ces amours-là risquait par sa trop forte ambition soit de se perdre en cours de route soit d'être beaucoup trop gourmand en essayant de tout embrasser mais en n'approfondissant rien du tout. Bonne surprise il n'en est rien, Lelouch ayant préféré s'intéresser à un nombre réduit de personnages ; on est bien loin du film de Cimino Les Portes du Paradis ou de la fresque sicilienne Baaria de Giuseppe Tornatore pour en citer un très récent. De plus Lelouch s'est amusé à faire jouer aux mêmes acteurs des personnages différents (quoique) : par exemple Audrey Dana (excellente et sublime par ailleurs) joue à la fois une femme, sa fille et sa petite-fille. Comme un cycle. Comme si ces amours-là n'étaient en fin de compte qu'un éternel recommencement. 

            Le film s'intéresse cependant particulièrement au destin d'une de ces trois femmes, Ilva, ce qui permet au récit de se dérouler pendant une bonne partie à la même période : les années 40 et 50. Cette femme n'est rien de moins que la synthèse des « femmes » telles que Lelouch les perçoit et les aime. C'est en faisant le portrait de l'une d'entre elles que Lelouch exprime son amour pour celles-ci. A la fois complexe, naïve, joyeuse, triste et belle, Ilva est l'image de la femme et de son évolution au XXème siècle. Une femme qui, si elle reconnait qu'elle a toujours aimé trop vite et trop passionnément, va au fur et à mesure de ses aventures s'affirmer et gagner en maturité dans un monde où les hommes ne font que se battre. Ces amours-là raconte en quelques sortes la naissante de la « femme moderne ». A noter que c'est en partant d'un procès où Ilva doit prouver son innocence du crime d'un amant que Ces amours-là retrace par « flashbacks » sa vie ; postulat très similaire au film de Clouzot La Vérité qui se montrait aussi assez féministe et qui livrait une forte vision de la femme moderne et libre.   

            D'une manière générale, plus qu’'un sublime portrait de femme, Ces amours-là est le portrait de tout un siècle. Du fantasme d'une Amérique alors triomphante à la Seconde Guerre mondiale, de la libération sexuelle à l'évolution fulgurante d'une nouvelle forme d'art avec le cinéma, Ces amours-là retrace en toile de fond, de la même manière qu'un Benjamin Button ou qu'un Forest Gump,  une partie du XXème siècle principalement. Une histoire principalement axé sur celle de la France mais pas uniquement. Comme dans le film de Zemeckis, Lelouch s'amuse même à faire interagir ses personnages fictifs avec des personnes ayant véritablement existé (notamment une courte apparition de Marilyn Monroe). 

            Mais plus que tout, Ces amours-là est un grand hommage au cinéma et un film profondément personnel. Le fait que le « père » d'Ilva tiennent un cinéma et que cette dernière y soit une ouvreuse n'est déjà pas innocent. On y voit entre autres des extraits d'Autant en emporte le vent et du Jour se lève ou encore les passages importants du muet au parlant et du noir et blanc à la couleur. Le film lui-même fait référence à bon nombre de genres : à la fresque romanesque évidemment, mais aussi au film de guerre (certes le débarquement fait pâle figure à celui de Spielberg dans Il faut sauver le soldat Ryan mais pour Lelouch il s'agit plus d'une sorte de clin d'oeil), le film de « procès », le western au détour d'une très belle course dans le Far-West, ou encore la comédie musicale avec une omniprésence parfois agaçante de la chanson et de la musique, de nombreuses scènes se déroulant dans des bars musicaux.  

            Ces amours-là est enfin le film de toute une carrière et de toute une vie, certaines courtes scènes ayant été filmées lors de précédents tournages. C'est  par le biais d'un personnage secondaire, un garçon juif qui se cachait dans un cinéma pendant l'Occupation et qui y découvrira sa vocation avant de devenir réalisateur, que Lelouch se met en scène. La dernière phrase de ce personnage sonne comme un aveu : alors qu'il filme un baiser d'Ilva avec celui qui sera l'homme de sa vie (belle première prestation du musicien Laurent Couson), il déclare en voie off « c'est ce baiser qui me donnera envie de filmer toutes ces histoires d'amour ». S'en suit alors une succession d'images des films de Lelouch. C'est ici que l'on trouve le défaut majeur de Ces amours-là : un excès de mièvrerie. Une naïveté souvent touchante mais qui tranche trop souvent avec le reste du film. Tout comme cette scène où Ilva déclare aux deux soldats américains dont elle est amoureuse que le mot le plus important de la langue française est « Paix ». Ou encore celle où Dominique Pinon raconte une histoire abracadabrantesque, tout droit tiré d'un film de Jeunet, pour expliquer comment les acteurs apparaissent sur l'écran. 

            Malgré ces petites lourdeurs typiques de Lelouch et une fin qui s'étire un peu trop longtemps, Ces amours-là est un spectacle réussi où se côtoie harmonieusement romantisme, trahisons, passions, aventures, humour,... Sans oublier un astucieux générique de fin qui clos le film sur une amusante mise en abime. Un long-métrage qu'il serait criminel de qualifier de « film pour vieux » tant il est riche, frais et d'une jeunesse surprenante.  

* * * * *

Audrey Dana et Jacky Ido. Rezo FilmsLaurent Couson et Audrey Dana. Rezo Films

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 22:48

                                                 

 - Film américain sorti le 15 septembre 2010

 - Réalisé par Floria Sigismondi

 - Avec Kristen Stewart, Dakota Fanning, Michael Shannon,…

 - Biopic

            En 1975 à Los Angeles, Joan Jett et Cherie Currie, deux adolescentes rebelles, se rencontrent et deviennent les figures emblématiques de ce qui se révèlera être le plus célèbre des groupes de glam rock féminin, les Runaways. Après une irrésistible ascension dans une Californie en ébullition créative, ces deux jeunes stars légendaires vont ouvrir la voie aux générations futures de femmes musiciennes. Sous l'influence de leur imprésario, l'excentrique Kim Fowley, le groupe va vite s'imposer et déchaîner les foules. Au-delà d'une trajectoire unique, voici l'histoire vraie de jeunes filles qui en se cherchant, vont toucher leurs rêves et changer la musique pour toujours...

Dakota Fanning et Kristen Stewart. Metropolitan FilmExportAlia Shawkat, Scout Taylor-Compton, Stella Maeve, Kristen Stewart et Dakota Fanning. Metropolitan FilmExport

            A une période où le genre majeur au cinéma est le « biopic », il est difficile pour toutes les productions de cet acabit de se démarquer des autres. Le long-métrage de Floria Sigismondi retraçant le parcours dans les années 70 du premier groupe de rock féminin, les « Runaways », n'y parvient que partiellement. Mais si le film ne fait que survoler son sujet, il se révèle intéressant par la confrontation  entre deux jeunes actrices parmi les plus talentueuses et prometteuses de leur génération. 

            Autant être clair dès le départ, si Les Runaways est un film plutôt sympathique ce n'est sûrement pas par sa structure d'un classicisme confondant. La narration est complètement linéaire et calque parfaitement la structure du « rise and fall » (l'élévation puis la chute d'une personne) utilisée dans presque la totalité des biopics, et particulièrement ceux sur les artistes oeuvrant dans la musique. Mais la morale est sauve, les protagonistes étant mineures, car l'évocation de leur « déchéance » avec la dissolution du groupe, les prises constantes de drogue et d'alcool, le harcèlement des fans, la dépression et les mauvais côtés de la célébrité ne va jamais trop loin et n'est jamais vraiment dérangeant.  

            L'autre aspect décevant du film de Sigismondi est qu'il n'approfondit pas vraiment le côté résolument inédit à l'époque de la démarche de Joan Jett, c'est-à-dire de montrer ce que cela implique de créer un groupe de filles dans un univers exclusivement masculin et assez souvent machiste. La première heure du film s'y attarde plutôt bien, notamment par des scènes montrant les membres du groupe s'entrainant à l'esquive afin d'éviter des projectiles qui ne manqueront pas de tomber lors de leurs concerts. Mais la seconde heure se désintéresse totalement de l'ampleur que prend le groupe, à un tel point que la réalisatrice se contente de filmer une vingtaine de fans hystériques japonais pour montrer l'importance mondiale du phénomène. Un peu comme Hôtel Woodstock l'année dernière qui prenait le parti de montrer les coulisses du plus grand festival de tous les temps et n'arrivait qu'à donner l'impression d'assister à un rassemblement musical quelconque, Les Runaways ne montre que rarement au spectateur en quoi ce groupe était une révolution et une formidable avancée dans une période qui voyait l'explosion de la lutte féministe et de l'égalité des sexes. On a donc l'impression de se retrouver face au portrait d'un groupe de rock comme les autres, là où le film aurait dû montrer l'importance de ce dernier. 

            A cela s'ajoute un terrible manque de dynamisme dans la mise en scène. Peu d'effets de style, de mouvement de caméra, d'audace visuelle traduisant la grande créativité et le dynamisme de la troupe. La réalisation de Sigismondi ne dégage aucune énergie ce qui contraste de manière négative avec celle que dégage les deux héroïnes. On est bien loin des excès et de l'efficacité d'un Oliver Stone lorsqu'il signait l'hallucinant The Doors et on se retrouve avec une direction artistique trop calme et propre sur elle qui ne correspond pas au sujet que le film a pour ambition de montrer. Certes l'image est assez travaillée et souvent très agréable à regarder, une bonne photographie étant toujours importante pour un film, mais le résultat esthétique demeure décevant de la part de Floria Sigismondi, une « novice » dans le domaine du septième art mais qui a fait ses premières armes dans la photographie et le clip musical. Cependant le film dispose de deux atouts, et pas les moindres : Dakota Fanning et Kristen Stewart.  

            La première s'est notamment illustrée dans Man on Fire de Tony Scott et dans le chef-d'oeuvre apocalyptique de Spielberg, La Guerre des Mondes, où elle jouait particulièrement bien la fille traumatisée et hystérique. La seconde a elle-aussi débuté assez tôt et à brillé entre autre dans Panic Room de Fincher et dans Into the Wild de Sean Penn avant d'être connu par le grand public par la saga « vampirique » Twilight, où elle tient un des rôles principaux, tout en continuant une carrière dans le cinéma américain indépendant. Même si les deux actrices jouent en effet dans la série tirée des romans de Stephanie Meyer, Les Runaways leur donne l'occasion de montrer leur véritable potentiel, qui était bien trop canalisé par la médiocre qualité à tous les niveaux de Twilight. Comme libérées de la machine commerciale à public très ciblés, Stewart et Fanning détruisent leur image d'icones pour jeunes filles en fleurs dans laquelle les Twilight(s) pouvaient les enfermer. Et ça aurait été bien dommage quand on regarde leur prestation et le charisme évident qu'elles dégagent. C'est particulièrement visible pour Kristen Stewart qui éclipse quasiment tous le reste du casting tant sa métamorphose est impressionnante. Enfin au côté des deux actrices on trouve Michael Shannon dans le rôle de l'impresario déjanté, Kim Fowley. Cependant si sa prestation est des plus convaincantes, on ne peut s'empêcher de s'inquiéter sur sa future carrière. Car après ses rôles de déments dans Bug de William Friedkin ou Les Noces Rebelles de Sam Mendes et avant sa probable participation (encore à l'état de rumeur) à The Iceman où il interprètera le sérial-killer Richard Kuklinski, Michael Shannon risque avec cette interprétation de conforter les producteurs et les réalisateurs à ne lui donner que des rôles de personnes instables. 

            Les Runaways, même s'il ne sort pas vraiment du lot bien fourni des « biopics », n'en demeure pas moins divertissant par le face-à-face réjouissant qu'il propose entre deux futures grandes actrices (si elles mènent intelligemment leur carrière). Et il faut bien reconnaitre que, malgré un manque de « punch » dans la mise en scène et une petite déception par sa frilosité à bien approfondir le sujet qu'il traite, le film de Sigismondi ne souffre d'aucun temps mort et dispose d'une bande son jouissive. Et c'est bien le minimum qu'on peut attendre pour qu'un film musical soit bon.

* * * * *       

Michael Shannon. Metropolitan FilmExportKristen Stewart. Metropolitan FilmExportDakota Fanning et Kristen Stewart. Metropolitan FilmExport

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3 octobre 2010 7 03 /10 /octobre /2010 12:40

                                                 

 - Film sud-coréen sorti le 15 septembre 2010

  - Réalisé par Im Sang-soo

 - Avec Jeon Do-yeon, Lee Jung-jae, Youn Yuh-jung,…

 - Thriller, Drame

            Euny est engagée comme aide-gouvernante dans une riche maison bourgeoise. Le mari, Hoon, la prend pour maîtresse. La vie de toute la maison va alors basculer...

Jeon Do-Yeon et Lee Jung-jae. Pretty PicturesJeon Do-Yeon. Pretty Pictures

            On le sait tous, l'exercice du « remake » est l'un des plus risqués dans l'univers du septième art. En plus d'être une démarche assez souvent purement opportuniste, il assez exceptionnel que la seconde version se démarque vraiment de l'original, et il est d'ailleurs encore plus rare que le remake surpasse le premier film. Mais contrairement à ce que bon nombre pense, simplifiant à outrance sûrement pour se donner bonne conscience, le phénomène est bien loin d'être simplement américain. Le réalisateur sud-coréen Im Sang-soo n'a, pour sa part, pas choisi la facilité. Il décide de revisiter, un demi-siècle après sa sortie, La Servante de Kim Ki-young, film considéré comme un grand classique là-bas.  

            A première vue, il n’y a pas de sujet plus inintéressant qu'une histoire de maîtresse qui s'immisce dans un couple et qui y met le bazar tant cela a été (sur)exploité dans un bon nombre de films / livres / oeuvres artistiques en général. Cependant le long-métrage d'Im Sang-soo arrive d'une façon intelligente à se démarquer. D'abord par une mise en scène plutôt baroque, qui tranche d'autant plus avec la froideur des décors (une immense maison moderne pendant près des trois quarts du film). Froideur qui est amplifiée par le fait que l'histoire se déroule en plein hiver et au milieu de paysages souvent enneigés, amenant parfois une atmosphère légèrement surréaliste. Froideur qui se retrouve aussi dans le peu d'émotions qui émerge lors de la première heure du film. The Housemaid se révèle d'ailleurs bien peu torride et assez avare en scènes érotiques ; on retiendra cependant une séquence où les corps des deux amants sont filmés en très gros plans, laissant suggérer l'intensité de leur rapport sexuel. Mais c'est par ce côté renfermé, neutre (avec l'omniprésence du blanc, une absence d'émotions pour accentuer l'aspect impersonnelle de cette famille,...) que ce justifie la mise en scène baroque d'Im Sang-soo. Car elle annonce implicite l'éclatement de toute la folie des personnages qui était jusque là réprimée. 

            L'origine de cet éclatement est évidemment l'arrivée de la servante au sein de cette maison dont les propriétaires lui sont bien supérieurs socialement. C'est aussi ce rapport de force qui fait la particularité de The Housemaid. Le film ne se limite donc pas à une relation amant / maitresse en y ajoutant une relation de type maître / esclave. Car Euny est la victime de Hoon. Elle doit lui obéir car elle est sa servante. On pourrait même se risquer à employer ici le terme d'« esclave ». Et elle ne peut lui résister car elle lui est inférieure socialement, psychologiquement (elle est souvent traité de « naïve comme une enfant ») et de par son sexe. Le problème c'est qu'elle prend vite goût à cette relation dégradante qui débute lorsqu'elle accepte de boire le vin que transporte constamment Hoon. Car l'équilibre est rompu à partir du moment où la servante est autorisée à bénéficier d'un des privilèges des aristocrates. A un tel point qu'Euny va faire basculer le rapport de force et se retrouver en position dominante. Position qu'elle n'aurait jamais dû avoir et qu'elle va avoir en plus l'audace d'assumer. C'est la plus terrible des insultes pour cette famille et le conflit va prendre une tournure de plus en plus violente. 

            La donne a changé à partir non pas de la découverte de la liaison par la femme d'Hoon, Hera, mais du fait qu'Euny soit enceinte, pouvant ainsi prouver cette liaison et faire chanter le maître de maison, en plus de déshonorer toute cette famille qu'elle sert. On y retrouve cette légère touche fantastique car la paternité d'Hoon sur l'enfant qu'elle porte n'est jamais certifiée (la liaison interdite ne se limitant soi-disant que par voie orale). Le film vire alors au thriller puisque le spectateur assiste aux manigances de la famille pour amener Euny à céder sous le poids des pressions. Particulièrement celles de la belle-mère qui cherche à laver l'honneur et de la femme jalouse de Hoon qui cherche à se venger des deux amants (de leur liaison sexuelle mais aussi de l'outrage qu'elle a subit lorsque son mari s'est détourné d'elle pour une « moins-que-rien »). La seconde heure du film se focalise essentiellement sur ce bras-de-fer à la fois psychologique et social. En effet si Euny tient bon, toutes ces valeurs archaïques qui caractérisent l'aristocratie coréenne s'effondreront symboliquement. Au final, le film d'Im Sang-soo n'est qu'à moitié optimiste. Car Euny ne pliera jamais. Cependant son destin demeure tragique et la dernière scène où elle apparait n'est que la conséquence inévitable de cette terrible confrontation. Cette scène, véritablement surréaliste pour le coup, fait écho à la scène d'introduction, qui semblait alors à part du reste du long-métrage, et y rejoint donc la thématique initiale qui était celui de la mort comme spectacle. De cette mésaventure la riche famille y abandonnera sa dernière parcelle d'humanité pour ensuite s'enfermer dans une autarcie ridicule, presque autiste. 

            The Housemaid n'est donc pas vraiment un thriller sulfureux se basant sur l'habituel trio mari / femme / maîtresse, mais est plutôt le portrait d'une aristocratie démente, aberrante et décadente. Un film où la folie trop longtemps contenue n'attend qu'à être libéré dans une explosion de violence et dont les victimes ne seront que « ceux d’en dessous ». Un film baroque donc, dont les images sont magnifiques, l'interprétation impeccable (particulièrement Lee Jung-jae, l'interprète de Hoon, qui est absolument glaçant et autoritaire ainsi que la sublime Jeon Do-Yeon incarnant l'héroïne), mais qui ne se démunie pas de l'humour toujours présent dans les films coréens. Et ce jusque dans la toute dernière scène où le couple d'aristocrates n'aura jamais été aussi inquiétant et grotesque.

* * * * *         

Lee Jung-jae, Seo Woo et Jeon Do-Yeon. Pretty PicturesPretty Pictures

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  • : Un blog regroupant les critiques et les articles de deux frères, cinéphiles amateurs mais érudits (un peu, en tout cas)
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